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ANNÉE 1767.

7057. — À M. DAMILAVILLE.
30 octobre.

Mon cher ami, je reçois votre lettre du 20 d’octobre, car il faut que je sois exact sur les dates : on dit qu’il y a quelquefois des lettres qui se perdent.

J’écris à M. Chardon[1], à tout hasard, pour l’affaire des Sirven, quoique je ne croie pas le moment favorable. On vient de condamner à être pendu un pauvre diable de Gascon qui avait prêché la parole de Dieu dans une grange auprès de Bordeaux. Le Gascon maître de la grange est condamné aux galères, et la plupart des auditeurs gascons sont bannis du pays ; mais quand on appesantit une main, l’autre peut devenir plus légère. On peut en même temps exécuter les lois sévères qui défendent de prêcher la parole de Dieu dans des granges, et venger les lois qui défendent aux juges de rouer, de pendre les pères et les mères sans preuves.

Ne pourriez-vous point m’envoyer cette Honnêteté théologique[2] dont on parle tant, et qu’on m’impute à cause du titre, et parce que l’on sait que je suis très-honnête avec ces messieurs de la théologie ? Je ne l’ai point vue, et je meurs d’envie de la lire. On ne pourra pas empêcher qu’il y ait une Sorbonne, mais on pourra empêcher que cette Sorbonne fasse du mal. Le ridicule et la honte dont elle vient de se couvrir dureront longtemps. Il faut espérer que tant de voix, qui s’élèvent d’un bout de l’Europe à l’autre, imposeront enfin silence aux théologiens, et que le monde ne sera plus bouleversé par des arguments, comme il l’a été tant de fois.

Pourquoi donc ne pas donner vos observations sur l’Ordre essentiel des Sociétés[3] ? Mais il n’y a pas moyen de dire tout ce qu’on devrait et qu’on voudrait dire.

Adieu, mon très-cher ami ; tâchez donc de venir à bout de cette enflure au cou ; pour moi, je suis bien loin d’avoir des enflures, je diminue à vue d’œil, et je serai bientôt réduit à rien.

  1. Cette lettre, qui est probablement celle dont il est question page 417, est perdue.
  2. L’Honnêteté théologique, qui forme le second cahier des Pièces relatives à Bélisaire, a été attribuée à Voltaire et à Turgot ; mais il paraît qu’elle est de Damilaville ; toutefois Voltaire l’a rebouisée (voyez tome XXVI, page 529).
  3. Voyez lettre 6970.