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CORRESPONDANCE.

celle du gascon Sandras. Ramsay l’Écossais était encore plus gascon que lui. Je me souviens qu’il donna au petit Louis Racine, fils du grand Racine, une lettre au nom de Pope, dans laquelle Pope se justifiait des petites libertés qu’il avait prises dans son Essai sur l’Homme. Ramsay avait pris beaucoup de peine à écrire cette lettre en français[1], elle était assez éloquente ; mais vous remarquerez, s’il vous plaît, que Pope savait à peine le français, et qu’il n’avait jamais écrit une ligne dans cette langue ; c’est une vérité dont j’ai été témoin, et qui est sue de tous les gens de lettres d’Angleterre. Voilà ce qui s’appelle un gros mensonge imprimé ; il y a même, dans cette fiction, je ne sais quoi de faussaire qui me fait de la peine.

Ne soyez point surpris que M. de Chenevières n’ait pu trouver, dans le dépôt de la guerre, ni le cartel ni la lettre du maréchal de Turenne. C’était une lettre particulière de M. de Turenne au roi, et non au marquis de Louvois. Par la même raison, elle ne doit point se trouver dans les archives de Manheim. Il est très-vraisemblable qu’on ne garda pas plus de copie de ces lettres d’animosité que l’on n’en garde de celles d’amour.

Quoi qu’il en soit, si l’électeur palatin envoya un cartel par le trompette Petit-Jean, mon avis est qu’il fit très-bien, et qu’il n’y a à cela nul ridicule. S’il y en avait eu, si cette bravade avait été honteuse, comme le dit le président Hénault, comment l’électeur, qui voyait ce fait publié dans toute l’Europe, ne l’aurait-il pas hautement démenti ? Comment aucun homme de sa cour ne se serait-il élevé contre cette imposture ?

Pour moi, je ne dirai pas comme ce maraud de Frelon dans l’Écossaise[2] : « J’en jurerais, mais je ne le parierais pas. » Je vous dirai : Je ne le jure ni ne le parie. Ce que je vous jurerai bien, c’est que les deux incendies du Palatinat sont abominables. Je vous jure encore que, si je pouvais me transporter, si je ne gardais pas la chambre depuis près de trois ans, et le lit depuis deux mois, je viendrais faire ma cour à Leurs Altesses sérénissimes, auxquelles je serai bien respectueusement attaché jusqu’au dernier moment de ma vie. Comptez de même sur l’estime et sur l’amitié que je vous ai vouées.

À propos d’incendie, il y a des gens qui prétendent qu’on mettra le feu à Genève cet hiver. Je n’en crois rien du tout ; mais si on veut brûler Ferney et Tournay, le régiment de Conti

  1. Voyez tome XIV, pages 119-120 ; et la note, XXII, 178.
  2. Acte II, scène iii ; voyez tome V, page 437.