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CORRESPONDANCE.

point de l’entretenir de sujets aussi peu agréables que celui dont traite votre lettre, et qu’avec tout le désir que j’ai de vous obliger, je n’ai pas seulement pu approcher Son Altesse et lui en rendre compte.

Souhaitant néanmoins, dans cet embarras, de répondre à la confiance dont vous m’honorez, j’ai cru devoir aller à ce qui m’a paru le plus pressé, c’est-à-dire de ramasser tout ce que la vérité des faits pouvait fournir de circonstances capables de vous tranquilliser, monsieur, parce que je souffre véritablement de vous voir dans cet état ; je me saurais un gré infini si je réussissais à vous en tirer. En conséquence j’ai recours, autant que cela a pu se faire dans l’espace de vingt-quatre heures, à la mémoire des personnes les plus distinguées à la cour et dans la ville de Gotha, et mes informations ont abouti à constater deux faits : l’un, qu’il n’y a qu’une voix dans tout Gotha sur votre départ et sur celui de la veuve Schwecker, dans l’année 1752, non pour Erfurth, mais pour Eisenach ; qu’au besoin plus de cent, plus de mille personnes, tout Gotha enfin certifiera, dans la forme la plus authentique, la rumeur publique, l’opinion générale, l’assertion unanime, que vous êtes partis ensemble de Gotha sans faire d’adieux ni l’un ni l’autre à qui que ce soit, et que vous êtes arrivés ensemble à Eisenach. Comme vous ne disconvenez pas, monsieur, d’avoir fait le voyage de Francfort avec la personne susmentionnée, je dois vous avouer franchement que je ne vois pas ce que vous gagneriez à prouver (si cela se pouvait) que vous soyez parti avec elle d’Erfurth, et non de Gotha, vu que, dans la supposition certaine que vous ayez ignoré le vol dont la Schwecker s’est rendue coupable, il est parfaitement indifférent et égal duquel des deux endroits vous soyez partis ensemble.

En effet, bien loin de vous soupçonner (et voici le second fait) d’avoir pris la moindre part au méfait de la veuve en question, je suis bien aise non-seulement de vous réitérer l’assurance du contraire, mais encore d’y ajouter, sans crainte d’être désavoué, que Leurs Altesses sérénissimes monseigneur le duc, et madame la duchesse vous connaissent trop homme d’esprit pour vous croire capable d’avoir voulu vous associer publiquement, sur une aussi longue route qu’est celle (en vous jugeant par votre propre aveu) d’Erfurth à Francfort, avec une personne que vous auriez reconnue voleuse. Cela n’est entré dans l’esprit de personne, et c’est ce qu’on est en état de vous confirmer. Au surplus, s’il y a eu de l’imprudence dans votre fait, elle est du genre de celles qui ne sont point criminelles.

Quant au mot de maîtresse que vous relevez, monsieur, je n’ai fait, en l’employant, que me conformer à ce qui est d’usage à cet égard en Allemagne, où une gouvernante d’enfants nomme le père et la mère des enfants dont l’éducation et l’instruction lui sont confiées son Maître et sa maîtresse ; d’où il résulte que, de n’avoir pas été servante, n’empêche pas qu’on n’ait pu avoir une maîtresse. Mais je n’insisterai pas sur une bagatelle tout à fait étrangère à l’objet principal. Je n’entrerai pas non plus dans tous les détails dont votre lettre est remplie, parce que quinze ans de temps les ont presque entièrement effacés de mon souvenir. Je n’ajouterai qu’un mot encore : c’est que la dame chez qui la Schwecker a servi en qualité de