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ANNÉE 1767

tolérant, mais je ne le suis pas pour les calomniateurs. Il faut d’une main soutenir l’innocence, et de l’autre écraser le crime. Je vous embrasse en Jéhovah, en Knef, en Zeus ; point du tout en Athanase, très-peu en Jérôme et en Augustin.

7000. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
2 septembre.

Nous nous apprêtons à célébrer la convalescence : il y aura comédie nouvelle, souper de quatre-vingts couverts. C’est bien pis que chez M. de Pompiguan[1] ; et puis nous aurons bal et fusées.

J’envoyai, par le dernier ordinaire, un Ingénu, par M. le duc de Praslin, pour amuser la convalescente ; et vous aurez, mes anges, pour votre hiver, les tragédies de MM. de Chabanon et de La Harpe : cela n’est pas trop mal pour des habitants du mont Jura ; mais en vérité, vous autres Welches, vous êtes des habitants de Montmartre. Je vous assure que les Guillaume Tell[2] et les Illinois[3] sont aux Danchet et aux Pellegrin ce que les Pellegrin et les Danchet sont à Racine. Je ne crois pas qu’il y ait une ville de province dans laquelle on pût achever la représentation de ces parades, qui ont été applaudies à Paris. Cela met en colère les âmes bien nées : cette barbarie avancera ma mort. Le fonds des Welches sera toujours sot et grossier. Le petit nombre des prédestinés qui ont du goût n’influe point sur la multitude : la décadence est arrivée à son dernier période.

Vivez donc, mes anges, pour vous opposer à ce torrent de bêtises de tant d’espèces qui inonde la nation. Je ne connais, depuis vingt ans, aucun livre supportable, excepté ceux que l’on brûle, ou dont on persécute les auteurs. Allez, mes Welches, Dieu vous bénisse ! vous êtes la chiasse du genre humain. Vous ne méritez pas d’avoir eu parmi vous de grands hommes qui ont porté votre langue jusque Moscou. C’est bien la peine d’avoir tant d’académies pour devenir barbares ! Ma juste indignation, mes anges, est égale à la tendresse respectueuse que j’ai pour vous, et qui fait la consolation de mes vieux jours.

Tout Ferney se réjouit de la convalescence.

  1. Il n’y avait que vingt-six couverts au repas donné par Pompignan en 1763 ; voyez tome XXIV, page 461.
  2. Tragédie de Le Mierre.
  3. Tragédie de Sauvigny ; voyez lettre 6883.