J’espère, avant de mourir, vous envoyer un petit divertissement pour vous amuser dans votre royaume.
Couservez-moi vos bontés, et agréez mon attachement et mon respect.
J’ai la fièvre, mon cher ami ; je ne puis vous dire qu’un mot. J’ai écrit à M. de Richelieu, il y a trois semaines, pour ces malheureux protestants qu’on accuse d’avoir été en masque chez un curé. Il m’a répondu que s’ils étaient innocents il leur donnerait toute sa protection.
Vous verrez par le mémoire ci-joint que je suis moi-même en guerre avec un protestant[2]. Je lui ai fait parler un peu vivement, de la part du roi, par M. de Gudane, commandant de la province de Foix.
J’ai lu aussi l’Ingénu. Il est, comme vous savez, de l’auteur du Compère Matthieu, et il faut qu’il en soit.
Je vous embrasse le plus tendrement du monde.
Si j’étais votre Atticus, mon cher Cicéron, præclare venderem votre livre très-instructif[3] ; et je vous assure qu’au propre votre libraire le vendra à merveille. Je vous assure que je ne me porte pas si bien que vous ; mais vous m’étonnez de me dire qu’il ne faut pas travailler dans la vieillesse ; c’est, ce me semble, la plus grande consolation de notre âge : Decet musarum cultorem scribentem mori[4]. Je ne hais pas même la guerre à mon âge : cela me ranime, et je ris quelquefois dans ma barbe.
Si je ne peux plus faire de tragédies, on en fait chez moi[5] qui vaudront mieux que les miennes : nous les jouerons bientôt sur le théâtre de Ferney. Je ne faisais pas mal les rôles de vieillard ; mais je deviens aveugle, et je ne pourrais plus jouer que le rôle de Tirésias. Puissiez-vous avoir la goutte, mon cher confrère !