surtout en désespéré, quand on pousse l’impudence jusqu’à m’accuser de n’être pas bon chrétien ; et, après m’être bien battu, je finis par rire ; mais je ne ris point quand on me dit qu’on ne paye point vos pensions : cela me fait trembler pour une petite démarche que j’ai faite auprès de monsieur le contrôleur général en faveur de M. de La Harpe ; je vois bien que, s’il fait une petite fortune, il ne la devra jamais qu’à lui-même. Ses talents le tireront de l’extrême indigence, c’est tout ce qu’il peut attendre :
Atque inopi lingua désertas invocat artes[1].
À propos, je ne trouve point ma lettre à Coge pecus si douce[2] ; il me semble que je lui dis, d’un ton fort paternel, qu’il est un coquin. Intérim vale, et me ama.
Vous osez penser dans un pays où l’on a regardé souvent cette liberté comme une espèce de crime. Il a été un temps à la cour d’Espagne, surtout lorsque les jésuites avaient du crédit, qu’il était presque défendu de cultiver sa raison. L’abrutissement de l’esprit était un mérite à la cour. Vos rois semblaient être comme les docteurs de la Comédie italienne, qui choisissaient des arlequins pour leurs confidents et leurs favoris, parce que les arlequins sont des balourds. Vous avez enfin un ministre éclairé, qui, ayant lui-même beaucoup d’esprit, a permis qu’on en eût. Il a surtout senti le vôtre ; mais les préjugés sont encore plus forts que vous et lui. Cicéron et Virgile auraient beau venir dans votre cour, ils verraient que des moines et des prêtres seraient plus écoutés qu’eux ; ils seraient forcés de fuir, ou d’être hypocrites. Vous avez aux barrières de Madrid la douane des pensées ; elles y sont saisies aux portes comme les marchandises d’Angleterre.
On met chez vous aux galères un libraire qui prête un livre à un officier de la cour pour le désennuyer pendant sa maladie. Cette persécution faite à l’esprit humain rend votre cour et votre