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ANNÉE 1767

nations, tandis qu’ils sont persécutés à Paris, même par ceux qui osent se dire leurs confrères.

Quant au Mémoire[1] qui regarde les calomnies absurdes du sieur La Beaumelle, il était encore plus nécessaire pour les étrangers que pour les Français. On sait bien à Paris que Louis XIV n’a point empoisonné le marquis de Louvois ; que le dauphin, père du roi, ne s’est point entendu avec les ennemis de l’État pour faire prendre Lille ; que Monsieur le Duc, père de M. le prince de Condé d’aujourd’hui, n’a point fait assassiner M. Vergier ; mais à Vienne, à Bade, à Berlin, à Stockholm, à Pétersbourg, on peut aisément se laisser séduire par le ton audacieux dont La Beaumelle débite ces abominables impostures. Ces mensonges imprimés sont d’autant plus dangereux qu’ils se trouvent aussi à la suite des Lettres de Mme de Maintenon, qui sont pour la plupart authentiques. Le faux prend la couleur de la vérité à laquelle il est mêlé. La calomnie se perpétue dans l’Europe, si on ne prend soin de la détruire. Il est de mon devoir de venger l’honneur de tant de personnes de tout rang outragées, surtout dans des notes infâmes dont ce malheureux a défiguré mon propre ouvrage. J’étais historiographe de France lorsque je commençai[2] le Siècle de Louis XIV : je dois finir ce que j’ai commencé ; je dois laver ce monument de la fange dont on l’a souillé ; enfin je dois me presser, ayant peu de temps à vivre.

N. B. Vous saurez, monsieur, en qualité d’homme d’esprit et de goût, qu’il y a dans le monde un nommé M. du Laurens, auteur du Compère Matthieu, lequel a fait un petit ouvrage intitulé l’Ingénu[3], lequel est fort couru des hommes, des femmes, des filles, et même des prêtres. Ce M. du Laurens m’est venu voir : il m’a dit, avant de partir pour la Hollande, que si vous pouviez imprimer ce petit ouvrage il vous l’enverrait de Lyon à Paris par la poste. M. Marin m’a mandé qu’il avait lu par hasard cet ouvrage, et qu’on donnerait une permission tacite sans aucune difficulté.

  1. Celui qui est tome XXVI, page 355.
  2. Voltaire n’a été nommé historiographe de France qu’en 1745 ; et dès 1732 il pensait à donner une histoire du siècle de Louis XIV.
  3. Ce fut vers ce temps que parut l’Ingénu, l’un des romans de Voltaire, qui le donna sous le nom du P. Ouesnel, et non sous celui de l’abbé du Laurens : voyez tome XXI, page 247.