Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Corneille, que plusieurs Genevois avaient l’honneur de seconder.

Il ne s’en tint pas là ; il suscita plusieurs citoyens ennemis de la magistrature ; il les engagea à rendre le conseil de Genève odieux, et à lui faire des reproches de ce qu’il souffrait, malgré la loi, un catholique domicilié sur leur territoire, tandis que tout Genevois peut acheter en France des terres seigneuriales, et même y posséder des emplois de finance. Ainsi cet homme, qui prêchait à Paris la liberté de conscience, et qui avait tant de besoin de tolérance pour lui, voulait établir dans Genève l’intolérance la plus révoltante et en même temps la plus ridicule.

M. Tronchin entendit lui-même un citoyen[1], qui est depuis longtemps le principal boute-feu de la république, dire qu’il fallait absolument exécuter ce que Rousseau voulait, et me faire sortir de ma maison des Délices, qui est aux portes de Genève. M. Tronchin, qui est aussi honnête homme que bon médecin, empêcha cette levée de bouclier, et ne m’en avertit que longtemps après.

Je prévis alors les troubles qui s’exciteraient bientôt dans la petite république de Genève : je résiliai mon bail à vie des Délices ; je reçus trente-huit mille livres, et j’en perdis quarante-neuf, outre environ trente mille francs[2] que j’avais employés à bâtir dans cet enclos.

  1. Deluc ; voyez lettre 6661.
  2. Voici le compte de l’achat des Délices, tel que nous le trouvons dans la Revue suisse, année 1855, page 669. Tronchin de Lyon avait sans doute eu connaissance de la lettre de Voltaire à Pezay, et avait dressé ce compte pour y répondre :

    « L’assertion sommaire de M. de Voltaire présente l’idée d’un vendeur peu délicat, et d’un acquéreur trop magnifique sur le prix de ses jouissances. Ce n’est ni l’un ni l’autre.

    Le domaine des Délices a en effet été vendu par un magistrat, le 10 février 1755, non compris les lods ou droits 78.033 l. 06 s. 8 d.
    « Les lods et frais se sont élevés à la somme de… 9,166 13 4
    Total… 87,200 » »
    « Dans ce prix étaient compris les meubles dont M. de Voltaire achetait la propriété pour le prix de 15,000 » »
    « Les Délices, sans les meubles et tels qu’ils devaient être rendus à M. Tronchin par M. de Voltaire, ne coûtaient ainsi que 72,200 » »
    « De ces 72,200 livres. M. Tronchin en paya, lors de l’acquisition 10,000 » »
    « M. de Voltaire ne paya donc du prix des Délices que. 62,000 » »
    « À la mort de M. de Voltaire ou à la cessation volontaire de sa jouissance, il était stipulé que M. Tronchin rentrerait dans son domaine en remboursant à M. de Voltaire. 38,000 » »
    « M. de Voltaire en acquérait ainsi la jouissance pendant sa vie pour 24,000 » »

    « Le magistrat à qui ce domaine appartenait certifiera que la partie utile lui