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ANNÉE 1767

la Palatine, et de l’avoir célébrée en chaire ; je fais grand cas des rêves ; je n’avais pas imaginé qu’ils pussent être utiles dans ces occasions ; mais je suis convaincue aujourd’hui qu’ils doivent avoir toute préférence sur les raisonnements.

Il faut, monsieur, avant que je finisse cette lettre, que j’obtienne de vous une grâce, mais il faut que ce soit tout à l’heure : c’est votre statue ou votre buste qu’on a fait à Saint-Claude ; on dit que vous y êtes parfaitement ressemblant ; j’ai la plus extrême impatience de l’avoir. Ne m’alléguez point que je suis aveugle ; on jouit du plaisir des autres, on voit en quelque sorte par leurs yeux, et puis la gloire, monsieur, la gloire, la comptez-vous pour rien ? Croyez-vous que je ne serais pas extrêmement flattée que vous décoriez mon appartement ? Vous en imposerez à tous ceux qui y entreront ; combien de sottises peut-être m’éviterez-vous de dire et d’entendre !

Le président vous aime toujours, et me charge de vous le dire : il se porte bien, mais il porte quatre-vingt-deux ans : c’est une charge bien pesante. Moi, qui en ai douze de moins à porter, j’en suis accablée. Si j’essayais, comme vous, un habit de théâtre, et qu’il me fallût dicter en même temps, je dicterais mes billets d’enterrement ; mais vous êtes un prodige en tout genre. Adieu, mon cher et ancien ami.

6896. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
26 mai.

Un voyage en Asie ! allez-vous l’entreprendre,
Un voyaBelle et sublime Thalestris ?
Un voyaQue ferez-vous dans ce pays ?
Un voyaVous n’y verrez point d’Alexandre.

Hélas ! Votre Majesté impériale ferait le tour du globe, qu’elle ne rencontrerait guère de rois dignes d’elle. Elle voyage comme Cérès la législatrice, en faisant du bien au monde. Je ne sais point la langue russe ; mais, par la traduction que vous daignez m’envoyer, je vois qu’elle a des inversions et des tours qui manquent à la nôtre. Je ne suis pas comme une dame de la cour de Versailles, qui disait : « C’est bien dommage que l’aventure de la tour de Babel ait produit la confusion des langues ; sans cela tout le monde aurait toujours parlé français. »

L’empereur de la Chine, Kang-hi, votre voisin, demandait à un missionnaire si on pouvait faire des vers dans les langues de l’Europe ; il ne pouvait le croire.

Que Votre Majesté impériale daigne agréer mes sentiments, et le très-profond respect de ce vieux Suisse, etc.