Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
CORRESPONDANCE.

mot. On en fait actuellement une édition plus honnête, que j’aurai l’honneur de soumettre au jugement de Votre Éminence. Je joue demain un des vieillards sur mon petit théâtre, et vous sentez bien que je le jouerai d’après nature.

Vraiment, si je suis assez heureux pour vous dédier une épître, cette épître ne sera que morale ; mais il faut que cette morale soit piquante, et c’est là ce qui est difficile.

Ce M. Servan[1] se taille des ailes pour voler bien haut. Il vint, il y a deux ans, passer quelques jours chez moi. C’est un jeune philosophe tout plein d’esprit ; il pense profondément ; il n’a pas besoin des petites pretintailles du siècle.

J’ai peur que notre guerre de Genève ne dure autant que celle de Corse ; mais elle ne sera pas sanglante. L’aventure des jésuites fait une très-grande sensation jusque dans nos déserts ; et on parle à peine d’une femme[2] qui établit la tolérance dans onze cent mille lieues carrées de pays, et qui l’établit encore chez ses voisins. Voilà, à mon gré, la plus grande époque depuis trois siècles.

Conservez-moi vos bontés, aimez toujours les lettres, et agréez mon tendre et profond respect.

6888. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
18 mai.

Il y a plus de six semaines, madame, que je suis toujours prêt à vous écrire, à m’informer de votre santé, à vous demander comment vous supportez la vie, vous et M. le président Hénault, et à m’entretenir avec vous sur toutes les illusions de ce monde ; mais je me suis trouvé exposé à tous les fléaux de la guerre, et à celui de trente pieds de neige, dont j’ai été longtemps environné. Les neiges et les glaces me privent tous les ans de la vue pendant quatre mois ; j’ai l’honneur d’être alors, comme vous savez, votre confrère des Quinze-Vingts ; mais les quinze-vingts ne souffrent pas, et j’éprouve des douleurs très-cuisantes. Je renais au printemps, et je passe de la Sibérie à Naples, sans changer de lieu ; voilà ma destinée.

Pardonnez-moi si j’ai passé tant de temps sans vous écrire ; vous savez que je vous aimerai toujours. Vous me direz : Montrez--

  1. Il venait de publier son Discours sur l’administration de la justice criminelle, 1767, in-8°.
  2. Catherine II, impératrice de Russie.