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ANNÉE 1767

gence qui va de Besançon à Paris, un petit buste d’ivoire dont l’original vous adore. Ce n’était pas ce que je lui avais demandé ; je ne l’ai point vu : je suis contredit en tout dans les déserts de Scythie.

Je reçois dans le moment une lettre de M. de Thibouville, lettre funeste, lettre odieuse, dans laquelle il propose un froid réchauffé du monologue d’Alzire ; cela est intolérable. Ce qui est bon dans Alzire est affreux dans les Scythes. Il est beau qu’Obéide, étant adultère dans son cœur, se cache dans son crime ; il est beau qu’elle l’expie en épousant Indatire ; mais il faut que l’actrice fasse sentir qu’elle est folle d’Athamare ; il y a vingt vers qui le disent. Comment n’a-t-on pas compris que ce détestable monologue serait absolument incompatible avec le rôle d’Obéide ? Une telle proposition excite ma juste colère.

M. de Thibouville me mande que mon ange prend des bouillons purgatifs. Ah ! mes anges, portez-vous bien, si vous voulez que je vive.

6883. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
16 mai.

Je dépêche aujourd’hui à M. d’Argental, par M. le duc de Praslin, trois exemplaires d’une nouvelle édition de Genève. Je vous enverrai incessamment celle de Lyon, qui sera, je crois, plus correcte. Je n’impute toutes ces éditions qu’on s’empresse de faire qu’à cet heureux contraste des mœurs républicaines et agrestes avec les mœurs fardées des cours. Je ne pense pas que la pièce ait un grand mérite ; cependant, si vous nous l’aviez vu jouer, je crois que vous en seriez assez content. Lekain trouverait peut-être du plaisir à dire :

Nul monarque avant moi sur le trône affermi
N’a quitté ses États pour chercher un ami ;
Je donne cet exemple, et ton maître te prie ;
Entends sa voix, entends la voix de ta patrie,
Celle de ton devoir, qui doit te rappeler,
Et des pleurs qu’à tes yeux mes remords font couler[1].

J’ai aussi un peu fortifié sa scène avec Indatire, afin qu’il ne fût pas tout à fait écrasé par le Scythe.

  1. Acte II, scène iv.