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Je ne suis pas entièrement de son avis. Le récitatif de Lulli me paraît très-bon, mais les scènes de Quinault encore meilleures.

Je viens à une autre anecdote. Vous dites que « les étrangers ont peine à distinguer quand la consonne finale a besoin ou non d’être accompagnée d’un e muet », et vous citez les vers du philosophe de Sans-Souci :

La nuit, compagne du repos.
De son crêp couvrant la lumière[1],
Avait jeté sur ma paupière
Les plus léthargiques pavots.

Il est vrai que, dans les commencements, nos e muets embarrassent quelquefois les étrangers ; le philosophe de Sans-Souci était très-jeune quand il fit cette épître : elle a été imprimée à son insu par ceux qui recherchent toutes les pièces manuscrites, et qui, dans leur empressement de les imprimer, les donnent souvent au public toutes défigurées.

Je peux vous assurer que le philosophe de Sans-Souci sait parfaitement notre langue. Un de nos plus illustres confrères[2] et moi, nous avons l’honneur de recevoir quelquefois de ses lettres, écrites avec autant de pureté que de génie et de force, eodem animo scribit quo pugnat[3] ; et je vous dirai, en passant, que l’honneur d’être encore dans ses bonnes grâces, et le plaisir de lire les pensées les plus profondes, exprimées d’un style énergique, font une des consolations de ma vieillesse. Je suis étonné qu’un souverain, chargé de tout le détail d’un grand royaume, écrive couramment et sans effort ce qui coûterait à un autre beaucoup de temps et de ratures.

M. l’abbé de Dangeau, en qualité de puriste, en savait sans doute plus que lui sur la grammaire française. Je ne puis toutefois convenir avec ce respectable académicien qu’un musicien, en chantant la nuit est loin encore, prononce, pour avoir plus de grâces, la nuit est loing encore. Le philosophe de Sans-Souci, qui est aussi grand musicien qu’écrivain supérieur, sera, je crois, de mon opinion.

  1. C’est le commencement de la lettre de Frédéric à Voltaire, du 20 février 1750 (voyez tome XXXVII, page 109), et le second vers s’imprimait encore en 1760 tel que d’Olivet le cite. Il a été corrigé depuis.
  2. D’Alembert.
  3. Quintilien (Instit., I, i) dit : « Tanta in eo vis est ut illum eodem animo dixisse quo bellavit appareat. »