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CORRESPONDANCE.

Bénissez Dieu, mon cher huguenot, qui chasse partout les jésuites, et qui rend la Sorbonne ridicule. Il est vrai qu’il traite fort mal le pays de Gex ; mais il faut lui pardonner le mal en faveur du bien. Je me suis mis, depuis longtemps, à rire de tout, ne pouvant faire mieux.

Rien ne vous empêche de venir chez nous en passant par Versoy, Gentoux, et Collex ; alors nous parlerons de perruques[1].

Je vous donne ma bénédiction.

6861. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
27 avril.

Je reçois la lettre du 21 d’avril, toute de la main de mon ange. Il doit être bien sûr que je pèse toutes ses raisons ; mais je conjure tous les anges du monde, en comptant M. de Thibouville, d’examiner les miennes. J’ai toujours voulu faire d’Obéide une femme qui croit dompter sa passion secrète pour Athamare, qui sacrifie tout à son père, et je n’ai point voulu déshonorer ce sacrifice par la moindre contrainte. Elle s’impose elle-même un joug qu’elle ne puisse jamais secouer ; elle se punit elle-même, en épousant Indatire, des sentiments secrets qu’elle éprouve encore pour Athamare, et qu’elle veut étouffer. Athamare est marié ; Obéide ne doit pas concevoir la moindre espérance qu’elle puisse être un jour sa femme. Elle doit dérober à tout le monde et à elle-même le penchant criminel et honteux qu’elle sent pour un prince qui n’a persécuté son père que parce qu’il n’a pu déshonorer la fille. Voilà sa situation, voilà son caractère.

Une froide scène entre son père et elle, au premier acte, pour l’engager à se marier avec Indatire, ne serait qu’une malheureuse répétition de la scène d’Argire et d’Aménaïde dans Tancrède, au premier acte. Il est bien plus beau, bien plus théâtral, qu’Obéide prenne d’elle-même sa résolution, puisqu’elle a déjà pris d’elle-même la résolution de fuir Athamare, et de suivre son père dans des déserts. Ce serait avilir ce caractère si neuf et si noble que de la forcer, de quelque manière que ce fût, à épouser Indatire ; ce serait faire une petite fille d’une héroïne respectable. Un monologue serait pire encore ; cela est bon pour Alzire. Mais lorsque, dans son indignation contre Athamare, dans la certitude de ne pouvoir jamais être à lui, dans le plaisir con-

  1. C’est-à-dire des conseillers genevois.