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ANNÉE 1767

de mériter sa fortune par de vrais services. Il a une aversion mortelle pour copier et pour faire la fonction de secrétaire, à laquelle je pensais que vous le destiniez. Il n’a point réformé sa main, et j’ai peur qu’il ne soit au nombre de tant de jeunes gens de Paris, qui prétendent à tout, sans être bons à rien. Il est bien loin d’avoir encore des idées nettes, et de se faire un plan régulier de conduite. Je lui recommande cent fois de se faire un caractère lisible pour vous être utile dans votre secrétairerie, de lire de bons livres pour se former le style, d’étudier surtout à fond l’histoire de la pairie et des parlements, d’avoir une teinture des lois ; il pourrait par là vous rendre service, aussi bien qu’à M. le duc de Fronsac ; mais il vole d’objet en objet, sans s’arrêter à aucun.

Il a fait venir de Paris, à grands frais, des bouquins que l’on ne voudrait pas ramasser. Il achète à Genève tous les libelles dignes de la canaille, et j’ai peur que ses fréquents voyages à Genève ne le gâtent beaucoup. Il est défendu à tous les Français d’y aller. Si vous le jugiez à propos, on prierait le commandant des troupes de ne le pas laisser passer. J’ai peur encore que sa manière de se présenter et de parler ne soit un obstacle à une profession sérieuse et utile. C’est un grand malheur d’être abandonné à soi-même dans un âge où l’on a besoin de former son extérieur et son âme.

Je m’étonne comment M. le duc de Fronsac ne l’a pas pris pour voyager avec lui ; il aurait pu en faire un domestique utile. Il a de la bonté pour lui ; l’envie de plaire à un maître aurait pu fixer ce jeune homme. Vous avez daigné l’élever dans votre maison dès son enfance ; ce voyage lui aurait fait plus de bien que dix ans de séjour auprès de moi. Il me voit très-peu ; je ne puis le réduire à aucune étude suivie.

Je vous ai rendu le compte le plus fidèle de tout ; je me recommande à vos bontés, et je vous supplie d’agréer mon respect et mon attachement inviolable.

6869. — À M. VERNES.
Le 25 avril.

Mon cher prêtre philosophe et citoyen, je vous envoie deux mémoires des Sirven. Ce petit imprimé vous mettra au fait de leur affaire. Comptez qu’ils seront justifiés comme les Calas. Je suis un peu opiniâtre de mon naturel. Jean-Jacques n’écrit que pour écrire, et moi j’écris pour agir.