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la gravitation mettrait à la place de Saturne. Il ajoute à cette bizarre idée que la raison pour laquelle le satellite le plus éloigné prendrait cette place, c’est que les souverains éloignent d’eux, autant qu’ils le peuvent, leurs héritiers présomptifs.

Cette idée serait plaisante et convenable dans la bouche d’une femme qui, pour faire taire des philosophes, imaginerait une raison comique d’une chose dont ils chercheraient la cause en vain ; mais que le mathématicien fasse le plaisant quand il doit instruire, cela n’est pas tolérable.

Le déplacé, le faux, le gigantesque, semblent vouloir dominer aujourd’hui ; c’est à qui renchérira sur le siècle passé. On appelle de tous côtés les passants pour leur faire admirer des tours de force qu’on substitue à la démarche simple, noble, aisée, décente, des Pellisson, des Fénelon, des Bossuet, des Massillon. Un charlatan est parvenu jusqu’à dire, dans je ne sais quelles lettres, en parlant de l’angoisse et de la passion de Jésus-Christ, que si Socrate mourut en sage, Jésus-Christ mourut en dieu[1] : comme s’il y avait des dieux accoutumés à la mort : comme si on savait comment ils meurent ; comme si une sueur de sang était le caractère de la mort de Dieu ; enfin comme si c’était Dieu qui fût mort.

On descend d’un style violent et effréné au familier le plus bas et le plus dégoûtant ; on dit de la musique du célèbre Rameau, l’honneur de notre siècle, qu’elle ressemble à la course d’une oie grasse et au galop d’une vache[2]. On s’exprime enfin aussi ridiculement que l’on pense, rem verba sequuntur[3] : et, à la honte de l’esprit humain, ces impertinences ont eu des partisans.

Je vous citerais cent exemples de ces extravagants abus, si je n’aimais pas mieux me livrer au plaisir de vous remercier des services continuels que vous rendez à notre langue, tandis qu’on cherche à la déshonorer. Tous ceux qui parlent en public doivent étudier votre Traité de la Prosodie ; c’est un livre classique qui durera autant que la langue française.

Avant d’entrer avec vous dans des détails sur votre nouvelle édition, je dois vous dire que j’ai été frappé de la circonspection avec laquelle vous parlez du célèbre, j’ose presque dire de l’inimitable Quinault, le plus concis peut-être de nos poëtes dans

  1. C’est dans le livre IV de l’Émile que J.-J. Rousseau a dit ::« Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un dieu. »
  2. Expression de J.-J. Rousseau dans sa Lettre à M. Grimm sur Omphale.
  3. Horace, Art poétique, vers 311.