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ANNÉE 1767

n’en faire annoncer qu’une représentation, et d’en donner deux si le public les redemande, après quoi on les jouera à Fontainebleau.

Les papiers publics disent qu’on les reprendra à la rentrée ; il ne faut pas les démentir, ce serait avouer une chute complète ; les Frérons triompheraient. Lekain me doit au moins cette complaisance ; il pourrait bien retarder d’un jour son voyage de Grenoble.

J’avoue que le rôle d’Athamare ne lui convient point. Il faudrait un jeune homme beau, bien fait, brillant, ayant une belle jambe et une belle voix, vif, tendre, emporté, pleurant tantôt de tendresse et tantôt de colère ; mais comme il n’a rien de tout cela, qu’il y supplée un peu par des mouvements moins lents. Que Mlle Durancy passe toute la semaine de Quasimodo à pleurer ; qu’on la fouette jusqu’à ce qu’elle répande des larmes : si elle ne sait pas pleurer, elle ne sait rien.

Ah ! mon Dieu ! peut-on me proposer d’établir une loi par laquelle on est obligé de se marier au bout de quatre ans ? Cela serait en vérité d’un comique à faire rire. Il n’est permis d’ailleurs de supposer des lois que quand il en a existé de pareilles. La loi de venger le sang de son mari, ou de son père, ou de son frère, a été connue de vingt nations ; celle de n’être reçu dans un pays qu’à condition qu’on s’y marierait ressemblerait à l’usage du château de Cutendre, où l’on n’entrait que deux à deux[1].

Dieu me préserve de charger d’aventures et d’épisodes la noble simplicité, si difficile à saisir, si difficile à traiter, si difficile à bien jouer !

Rendez-moi Mlle Lecouvreur et Dufresne, je vous réponds bien du troisième acte. Le meilleur conseil qu’on m’ait jamais donné se trouve exécuté dans ces vers :

Va, si j’aime en secret les lieux où je suis née.
Mon cœur doit s’en punir, il se doit imposer
Un frein qui le retienne, et qu’il n’ose briser :
N’en demande pas plus…

(Acte II, scène :.)

Je vous dirai de même :

N’en demandez pas plus, ce serait tout gâter.

  1. Chant XII de la Pucelle ; voyez tome IX, page 190.