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mal ; on sait assez que la vanité des grands noms ne m’éblouit pas, et que ce sont les grandes actions que je révère. Il ne savait pas que ces deux seigneurs étaient chez moi quand j’eus l’honneur de leur présenter les deux fils de Jean Calas, et que tous deux ne se déterminèrent en faveur des Calas qu’après avoir examiné l’affaire avec la plus grande maturité.

Il devait savoir, et il feignait d’ignorer, que vous-même, monsieur, vous confondîtes, dans votre mémoire pour Mme Calas, ce préjugé abominable qui accuse la religion protestante d’ordonner le parricide ; M. de Sudre, fameux avocat de Toulouse, s’était élevé avant vous contre cette opinion horrible, et n’avait pas été écouté. Le parlement de Toulouse fit même brûler, dans un vaste bûcher élevé solennellement, un écrit extrajudiciaire dans lequel on réfutait l’erreur populaire ; les archers firent passer Jean Calas chargé de fers à côté de ce bûcher, pour aller subir son dernier interrogatoire. Ce vieillard crut que cet appareil était celui de son supplice ; il tomba évanoui ; il ne put répondre quand il fut traîné sur la sellette, son trouble servit à sa condamnation.

Enfin, le consistoire et même le conseil de Genève furent obligés de repousser et de détruire, par un certificat authentique, l’imputation atroce intentée contre leur religion ; et c’est au mépris de ces actes publics, au milieu des cris de l’Europe entière, à la vue de l’arrêt solennel de quarante maîtres des requêtes, qu’un homme sans aveu comme sans pudeur ose mentir pour attaquer, s’il le pouvait, l’innocence reconnue des Calas.

Cette effronterie si punissable a été négligée, le coupable s’est sauvé à l’abri du mépris. M. le marquis d’Argence, officier général, qui avait passé quatre mois chez moi, dans le plus fort du procès des Calas, a été le seul qui ait marqué publiquement son indignation contre ce vil scélérat.

Ce qui est plus étrange, monsieur, c’est que M. Coqueley, qui a eu l’honneur d’être admis dans votre ordre, se soit abaissé jusqu’à être l’approbateur des feuilles de ce Fréron, qu’il ait autorisé une telle insolence, et qu’il se soit rendu son complice.

Que ces feuilles calomnient continuellement le mérite en tout genre, que l’auteur vive de son scandale, et qu’on lui jette quelques os pour avoir aboyé, à la bonne heure, personne n’y prend garde ; mais qu’il insulte le conseil entier, vous m’avouerez que cette audace criminelle ne doit pas être impunie dans un malheureux chassé de toute société, et même de celle qui a été enfin chassée de toute la France. Il n’a pas acquis par l’opprobre