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Si la destinée m’a placé dans des déserts où la famille des Sirven et les fils de Mme Calas cherchèrent un asile, si leurs pleurs et leur innocence si reconnue m’ont imposé le devoir indispensable de leur donner quelques soins, je vous jure, monsieur, que, dans la sensibilité que ces deux familles m’ont inspirée, je n’ai jamais manqué de respect au parlement de Toulouse ; je n’ai imputé la mort du vertueux Calas, et la condamnation de la famille entière des Sirven, qu’aux cris d’une populace fanatique, à la rage qu’eut le capitoul David de signaler son faux zèle, à la fatalité des circonstances.

Si j’étais membre du parlement de Toulouse, je conjurerais tous mes confrères de se joindre aux Sirven pour obtenir du roi qu’il leur donne d’autres juges. Je vous déclare, monsieur, que jamais cette famille ne reverra son pays natal qu’après avoir été aussi légalement justifiée qu’elle l’est réellement aux yeux du public. Elle n’aurait jamais la force ou la patience de soutenir la vue du juge de Mazamet, qui est sa partie, et qui l’a opprimée plutôt que jugée. Elle ne traversera point des villages catholiques, où le peuple croit fermement qu’un des principaux devoirs des pères et des mères, dans la communion protestante, est d’égorger leurs enfants, dès qu’ils les soupçonnent de pencher vers la religion catholique. C’est ce funeste préjugé qui a traîné Jean Calas sur la roue ; il pourrait y traîner les Sirven. Enfin, il m’est aussi impossible d’engager Sirven à retourner dans le pays qui fume encore du sang des Calas, qu’il était impossible à ces deux familles d’égorger leurs enfants pour la religion.

Je sais très-bien, monsieur, que l’auteur d’un misérable libelle périodique intitulé, je crois, l’Année littéraire, assura, il y a deux ans, qu’il est faux qu’en Languedoc on ait accusé la religion protestante d’enseigner le parricide[1]. Il prétendit que jamais on n’en a soupçonné les protestants ; il fut même assez lâche pour feindre une lettre qu’il disait avoir reçue de Languedoc ; il imprima cette lettre, dans laquelle on affirmait que cette accusation contre les protestants est imaginaire : il faisait ainsi un crime de faux pour jeter des soupçons sur l’innocence des Calas, et sur l’équité du jugement de messieurs les maîtres des requêtes : et on l’a souffert ! et on s’est contenté de l’avoir en exécration !

Ce malheureux compromit les noms de M. le maréchal de Richelieu et de M. le duc de Villars ; il eut la bêtise de dire que je me plaisais à citer de grands noms : c’est me connaître bien

  1. Voyez la note, tome XLIV, page 28.