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l’Indus même, qui a coulé longtemps sous les lois des rois de Perse. Chardin nous assure, dans son troisième tome, que le fleuve Zenderouth, qui traverse Ispahan, est aussi large que la Seine à Paris, et qu’il submerge souvent des maisons sur les quais de la ville.

Malheureusement le système de l’Esprit des lois a pour fondement une antithèse qui se trouve fausse. Il dit que les monarchies sont établies sur l’honneur, et les républiques sur la vertu ; et, pour soutenir ce prétendu bon mot : La nature de l’honneur (dit-il, livre III, chapitre vii) est de demander des préférences, des distinctions ; l’honneur est donc, par la chose même, placé dans le gouvernement monarchique. Il devrait songer que, par la chose même, on briguait, dans la république romaine, la préture, le consulat, le triomphe, des couronnes, et des statues.

J’ai pris la liberté de relever plusieurs méprises pareilles dans ce livre, d’ailleurs très-estimable. Je ne serai pas étonné que cet ouvrage célèbre vous paraisse plus rempli d’épigrammes que de raisonnements solides ; et cependant il y a tant d’esprit et de génie qu’on le préférera toujours à Grotius et à Puffendorf. Leur malheur est d’être ennuyeux ; ils sont plus pesants que graves.

Grotius, contre lequel vous vous élevez avec tant de justice, a extorqué de son temps une réputation qu’il était bien loin de mériter. Son Traité de la Religion chrétienne n’est pas estimé des vrais savants. C’est là qu’il dit, au chapitre xxii de son Ier livre, que l’embrasement de l’univers est annoncé dans Hystaspe et dans les Sibylles. Il ajoute à ces témoignages ceux d’Ovide et de Lucain ; il cite Lycophron pour prouver l’histoire de Jonas.

Si vous voulez juger du caractère de l’esprit de Grotius, lisez sa harangue à la reine Anne d’Autriche, sur sa grossesse. Il la compare à la Juive Anne, qui eut des enfants étant vieille ; il dit que les dauphins, en faisant des gambades sur l’eau, annoncent la fin des tempêtes, et que, par la même raison, le petit dauphin qui remue dans son ventre annonce la fin des troubles du royaume.

Je vous citerais cent exemples de cette éloquence de collège dans Grotius, qu’on a tant admiré. Il faut du temps pour apprécier les livres, et pour fixer les réputations.

Ne craignez pas que le bas peuple lise jamais Grotius et Puffendorf ; il n’aime pas à s’ennuyer. Il lirait plutôt (s’il le pouvait) quelques chapitres de l’Esprit des lois, qui sont à portée de tous les esprits parce qu’ils sont très-naturels et très-agréables. Mais distinguons, dans ce que vous appelez peuple, les professions qui