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dises qu’elle devait acheter. Les Cramer, qui sont mes libraires, n’ont point de ces effets dangereux ; ils n’impriment que mes ouvrages. Elle s’adressa à un autre, et lui laissa par malheur la note de son mari, signée Le Jeune, valet de chambre de M. D***. C’était une note particulière de son mari à elle : il faut qu’elle soit tombée par mégarde quand on faisait ses petits ballots, car elle est très-prudente et ne compromet personne. Je retirerai ce billet ; n’en soyez point en peine ; ne grondez point votre valet de chambre, et encore moins cette pauvre femme ; ce qui est fait est fait : il ne s’agit que de se tirer de ce bourbier.

Après nous être tournés de tous les sens, il nous a paru que le procès criminel contre la Doiret était trop dangereux, parce qu’elle est trop connue sous le nom de Le Jeune, parce que tous nos domestiques seraient interrogés ; parce que cette femme ayant demeuré huit jours avec eux, ils ont su qui elle est et qui est son mari ; parce qu’enfin, ayant resté plusieurs jours chez nous et s’étant servie de notre équipage, nous sommes présumés être ses complices, quoique assurément nous en soyons bien éloignés. Le mieux est sans doute d’étouffer l’affaire ; mais comment s’y prendre ? Je n’en sais rien, au milieu de mes neiges, avec un quart d’apoplexie et la faiblesse où je suis.

Je pense même que monsieur le vice-chancelier y sera fort embarrassé ; il ne le serait pas si vous étiez son ami intime. Je crois pourtant que vous étiez assez lié avec lui quand il était premier président. Enfin vous êtes sur les lieux ; mais peut-être un vieux vice-chancelier n’a point d’amis, et moi j’ai beaucoup d’ennemis. Vous savez que je n’ai absolument rien à me reprocher ; mais vous savez aussi que cela ne suffit pas.

Je persiste entièrement dans mon premier avis, qui est que monsieur le vice-chancelier se fasse représenter les malles adressées à la dame Doiret, de Châlons, qu’il fasse brûler secrètement ce qu’elles contiennent, et qu’il laisse Mme Denis disputer son droit en matière civile contre la saisie illégale de ses équipages. Il est certain que cette saisie ne peut se soutenir en justice réglée ; les commis mêmes ne l’entreprendront pas. Cette tournure, que je proposai d’abord, me parait encore la meilleure de toutes, quoiqu’elle me soit venue dans l’esprit, et que je n’aie pas d’ordinaire grande foi à mes expédients.

Mme Denis vous embrasse cent fois. Elle est consternée et malade ; je serais au désespoir de la quitter dans cet état.

Voici cependant un exemplaire que vous pourrez faire lire à Lekain. Je vous adresserai bientôt l’ouvrage avec la musique en