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sache pas trop à quoi le succès d’une pièce de théâtre est attaché. Il y en a une[1] qui a eu un grand succès, et qu’on n’a voulu faire lire ; j’y suis depuis trois mois, j’en ai déjà lu trois actes ; j’espère la finir avant la fin d’avril. Je ne vous parle point des Scythes, parce qu’on ne sait qui meurt ni qui vit. Vous le saurez le mercredi des Cendres, qui est souvent un jour de pénitence pour les auteurs. Mais, sifflé ou toléré, sachez que je vous aime de tout mon cœur.

6745. — À M. PALISSOT.
À Ferney, 13 février.

Votre lettre du 3 février, monsieur, a renouvelé mes plaintes et mes regrets. Quel dommage, ai-je dit, qu’un homme qui pense et qui écrit si bien se soit fait des ennemis irréconciliables de gens d’un extrême mérite, qui pensent et qui écrivent comme lui !

Vous avez bien raison de regarder Fréron comme la honte et l’excrément de notre littérature. Mais pourquoi ceux qui devraient être tous réunis pour chasser ce malheureux de la société des hommes se sont-ils divisés ? Et pourquoi avez-vous attaqué ceux qui devraient être vos amis, et qui ne sont que les ennemis du fanatisme ? Si vous aviez tourné vos talents d’un autre côté, j’aurais eu le plaisir de vous avoir, avant ma mort, pour confrère à l’Académie française. Elle est à présent sur un pied plus honorable que jamais : elle rend les lettres respectables. J’apprends que vous jouissez d’une fortune digne de votre mérite. Plus vous chercherez à avoir de la considération dans le monde, plus vous vous repentirez de vous être fait, sans raison, des ennemis qui ne vous pardonneront jamais. Cette idée peut empoisonner la douceur de votre vie. Le public prend toujours le parti de ceux qui se vengent, et jamais de ceux qui attaquent de gaieté de cœur. Voyez comme Fréron est l’opprobre du genre humain ! Je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu, je n’ai jamais lu ses feuilles ; mais on m’a dit qu’il n’était pas sans esprit. Il s’est perdu par le détestable usage qu’il en a fait. Je suis bien loin de faire la moindre comparaison entre vous et lui. Je sais que vous lui êtes infiniment supérieur à tous égards ; mais plus cette distance est immense, plus je suis fâché que vous ayez voulu avoir mes amis pour ennemis. Eh ! monsieur, c’était contre les persécuteurs des

  1. Le Siège de Calais, par de Belloy.