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Les troubles de Genève, les mesures que le gouvernement à prises, l’interruption de tout commerce, la rigueur intolérable de l’hiver, la disette où notre petit pays est réduit, m’ont rendu Ferney moins agréable qu’il n’était. J’espère, si je suis encore en vie l’hiver prochain, le passer à Lyon auprès de vous, et ce sera pour moi une grande consolation. Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher confrère.

6744. — À M. MARMONTEL.
À Ferney, le 12 février.

Mon très-cher confrère, vous me mandez que vous m’envoyez Bélisaire, et je ne l’ai point reçu. Vous ne savez pas avec quelle impatience nous dévorons tout ce qui vient de vous. Votre libraire a‑t‑il fait mettre au carrosse de Lyon ce livre que j’attends pour ma consolation et pour mon instruction ? l’a-t-on envoyé par la poste avec un contre-seing ? Les paquets contre-signés me parviennent toujours, quelque gros qu’ils soient ; enfin je vous porte mes plaintes et mes désirs. Ayez pitié de Mme Denis et de moi. Faites-nous lire ce Bélisaire. Si vous avez rendu Justinien et Théodora bien odieux, je vous en remercie bien d’avance. Je vous supplie de demander à Mme Geoffrin si son cher roi de Pologne ne s’est pas entendu habilement avec l’impératrice de Russie, pour forcer les évêques sarmates à être tolérants, et à établir la liberté de conscience ; je serais bien fâché de m’être trompé. Je suppose que Mme Geoffrin voudra bien me faire savoir si j’ai tort ou raison, qu’elle m’en dira un petit mot, où qu’elle permettra que vous me disiez ce petit mot de sa part. Présentez-lui mon très‑tendre respect. Aimez‑moi, mon cher confrère ; continuez à rendre l’Académie respectable. Ayons dans notre corps le plus de Marmontels et de Thomas que nous pourrons. M. de La Harpe sera bien digne un jour d’entrer in nostro docto corpore[1]. Il a l’esprit très-juste, il est l’ennemi du phébus, son goût est très-épuré et ses mœurs très-honnêtes ; il a paru vous combattre un peu au sujet de Lucain[2], mais c’est en vous estimant et en vous rendant justice, et vous pourrez être sûr d’avoir en lui un ami attaché et fidèle, espère qu’il ne reviendra à Paris qu’avec une très-bonne tragédie, quoiqu’il n’y ait rien de si difficile à faire, et quoiqu’on ne

  1. Malade imaginaire, troisième intermède.
  2. Dans le Mercure de juillet (1 et 2), août et novembre 1766, La Harpe avait donné quatre articles sur la traduction, par Marmontel, de la Pharsale de Lucain.