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Mme Denis est toujours dans la ferme résolution de ne point payer le prix de son carrosse et de ses chevaux, et moi dans le dessein invariable d’aller mourir hors de France, si on fait cet affront à ma nièce : car si elle est condamnée à perdre ses chevaux et son carrosse, elle est visiblement condamnée comme complice de votre protégée et comme convaincue d’avoir envoyé en France des livres abominables. Elle serait détestée et déshonorée dans un pays de bêtes brutes où la superstition a établi domicile. Il n’aurait, en ce cas, d’autre parti à prendre qu’à brûler le château que j’ai bâti.

Voilà, mon divin ange, tout ce que l’état le plus douloureux du monde me permet de vous écrire sur cette abominable aventure.

Je vais répondre actuellement dans une autre lettre à tout ce que vous me mandez sur les Scythes. Ces deux lettres partiront pour Genève demain samedi, 3 janvier, avant que j’aie reçu celles que Mme Denis et moi nous attendons de vous sur cette cruelle affaire.

Monsieur l’ambassadeur a quitté, comme vous savez, Genève incognito ; il a passé deux jours chez moi. Je pourrais bien aller lui rendre sa visite, et ne revoir jamais Ferney. Le bon de l’affaire esi que je lui ai prêté tous mes chevaux, et que je n’en ai pas même pour envoyer chercher un médecin. Tant mieux, je guérirai plus vite ; mort ou vif, mon très-cher ange, je vous idolâtre toujours de tout mon cœur.

Votre protégée m’écrit qu’elle part dans le moment à cheval pour retourner à Paris. Vous voyez qu’elle a le courage de son frère ; mais ils ne sont pas heureux dans cette famille-là, ni moi non plus, ni les Genevois non plus. Les affaires empirent de quart d’heure en quart d’heure. Milord Abington, qui est haut comme un chou, a déjà tué une sentinelle, à ce qu’on vient de me dire ; mais on dit beaucoup de sottises, et je ne peux savoir vérité, parce que les portes de Genève sont fermées.


6645. — À M. DAMILAVILLE.
2 janvier 1767.

Vous devez être actuellement bien instruit, mon cher et vertueux ami, du malheur qui m’est arrivé[1] : c’est une bombe qui

  1. Voyez, tome XLIV, lettre 6634.