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pour la cour de Rome ! On l’attaque ouvertement en Pologne, on a chassé ses gardes du corps de France et de Portugal. Il paraît qu’on en fera autant en Espagne.

Les philosophes sapent ouvertement les fondements du trône apostolique : on persifle le grimoire du magicien ; on éclabousse l’auteur de sa secte[1]  ; on prêche la tolérance ; tout est perdu. Il faut un miracle pour relever l’Église. C’est elle qui est frappée d’un coup d’apoplexie terrible ; et vous aurez encore la consolation de l’enterrer et de lui faire son épitaphe, comme vous fîtes autrefois pour la Sorbonne[2].

L’Anglais Woolston prolonge la durée de l’inf…, selon son calcul, à deux cents ans ; il n’a pu calculer ce qui est arrivé tout récemment. Il s’agit de détruire le préjugé qui sert de fondement à cet édifice. Il s’écroule de lui-même, et sa chute n’en devient que plus rapide.

Voilà ce que Bayle a commencé de faire : il a été suivi par nombre d’Anglais, et vous avez été réservé pour l’accomplir.

Jouissez longtemps en paix de toutes les sortes de lauriers dont vous êtes couvert ; jouissez de votre gioire, et du rare bonheur de voir qu’à votre couchant vos productions sont aussi brillantes qu’à votre aurore.

Je souhaite que ce couchant dure longtemps, et je vous assure que je suis un de ceux qui y prennent le plus d’intérêt.

Fédéric.
6737. — À M. LE CHEVALIER DE BEAUTEVILLE.
À Ferney, 10 février.

Monsieur, certainement j’irai rendre à Votre Excellence les visites dont elle m’a honoré quand elle voulait mettre la paix chez des gens qui ne méritent pas d’avoir la paix.

M. le duc de Choiseul m’a donné à la vérité toutes les facilités possibles ; mais, quelques bontés qu’il ait, la gêne et le fardeau retombent toujours sur nous. Quel pays que celui-ci ! Je n’ai pu trouver dans Paris une lettre de change sur Genève ; il faut faire venir l’argent par la poste. Les coches de Lyon et de Suisse n’arrivent plus, et je peux vous assurer qu’on trompe beaucoup M. le duc de Choiseul si on lui écrit que les Genevois souffrent ; il n’y a réellement que nous qui souffrons. On croit se venger d’eux, et on nous accable. Si on voulait effectivement rendre la vengeance utile, il faudrait établir un port au pays de Gex, ouvrir une grande route avec la Franche-Comté, commercer directement de Lyon avec la Suisse par Versoy, attirer à soi tout le commerce de Genève, entretenir seulement un corps de garde

  1. « On persifle le grimoire ; on éclabousse la secte. » (Édit. de Berlin.)
  2. Le Tombeau de la Sorbonne ; voyez tome XXIV, page 17.