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attendre que je fusse un peu ressuscité pour remercier Votre Éminence de ce qu’elle aime toujours ce que vous savez, c’est‑à‑dire les belles-lettres, et même les vers, et qu’elle daigne aussi aimer ce bon vieillard qui achève sa carrière

Œbaliæ sub montibus altis[1].

(Virg., Georg., lib. IV, v. 125.)

Je vous réponds qu’il a profité de vos bons avis, autant que ses forces ont voulu le lui permettre. Je crois que je dois dire à présent :

Claudite jam rivos, pueri ; sat prata biberunt.

(Virg., ecl. iii, V. III)

N’êtes-vous pas bien content du discours de notre nouveau confrère M. Thomas ? Son prédécesseur, Hardion[2], n’en aurait point autant fait.

J’ai chez moi M. de La Harpe, qui est haut comme Ragotin, mais qui a bien du talent en prose et en vers.

Je corromps la jeunesse tant que je puis ; il a fait un Discours sur La guerre et sur la paix[3], qui a remporté le prix d’une voix unanime. Si Votre Éminence ne l’a pas lu, elle devrait bien le faire venir de Paris ; elle verrait qu’on glane encore dans ce siècle après la moisson du siècle de Louis XIV. Nous cultivons ici les lettres au son du tambour ; nous faisons une guerre plus heureuse que la dernière ; le quartier général est souvent chez moi. Nous avons déjà conquis plus de cinq pintes de lait que nos paysannes allaient vendre à Genève. Nos dragons leur ont pris leur lait avec un courage invincible ; et comme il ne faut pas épargner son propre pays quand il s’agit de faire trembler le pays ennemi, nous avons été à la veille de mourir de faim.

Ayez la bonté de faire dire quelques prières dans vos diocèses pour le succès de nos armes, car nous combattons les hérétiques, et je hais ces maudits enfants de Calvin, qui prétendent, avec les jansénistes, que les bonnes œuvres ne valent pas un clou à soufflet. Je ne suis point du tout de cet avis ; je voudrais qu’on eût envoyé contre ces parpaillots un régiment d’ex-jésuites au lieu de dragons.

Tout ce que dit Votre Éminence sur les prétentions est d’un

  1. Il y a dans Virgile :
    Œbaliæ sub turribus altis.
  2. Voyez tome XXXII, page 240.
  3. Voyez lettre 6622.