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pape ; et, tel que vous êtes, je vous préfère à tous les papes, ce qui n’est pas coucher gros ; mais je vous aime et vous révère plus que personne au monde.


6097. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU[1].
À Genève, 30 auguste.

J’ai déjà eu l’honneur de mander à mon héros des nouvelles de Mlle Clairon. Je crois lui avoir dit qu’elle avait désobéi à Tronchin, en jouant sur mon petit théâtre de marionnettes les rôles d’Électre et d’Aménaïde. Je lui répète que jamais ni Baron ni Mlle Lecouvreur n’ont approché d’elle. Mais je peux vous assurer que je ne suis point coupable de sa désobéissance à la médecine. Ce que j’avais prévu, et voulu empêcher, est arrivé ; il lui a pris une perte de sang affreuse ; il lui a fallu du temps pour se remettre.

Elle est partie pour la Provence dans un carrosse où elle est couchée. Tronchin lui a dit que, si elle remontait sur le théâtre, il ne répondait pas de sa vie, et qu’il ne se mêlerait jamais de sa santé. Elle a répondu que, quand le roi daignerait vouloir l’entendre, elle serait, comme ses autres sujets, prête à hasarder sa vie pour lui plaire, mais que partout ailleurs elle serait très-docile aux ordonnances de Tronchin.

Nous sommes ici une troupe de malades dont j’ai l’honneur d’être le doyen, et qui, malgré notre obéissance aux oracles d’Esculape, ne nous en portons pas mieux. Mme la comtesse d’Harcourt est dans son lit depuis quatre ans. J’ai un parent[2], âgé de vingt-quatre ans, devenu paralytique pour le reste de sa vie. Pour nioi, je partage mes misères entre Genève et cette petite maison où je vous ai fait ma cour. Il y a des jours où je suis aveugle ; il y en a d’autres où mes yeux me rendent quelque service, et je saisis ces moments-là pour vous renouveler l’attachement le plus respectueux et le plus tendre qu’on puisse avoir pour vous.

J’ai toujours eu envie de vous demander si vous aviez lu les Lettres de Henri IV à Corisandre, qui sont imprimées dans l’Essai sur l’Histoire générale, et placées mal à propos après le chapitre de Louis XIII. Elles sont curieuses, et méritent votre attention.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Daumart.