Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/571

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
561
ANNÉE 1766.

L’infernal Janin a été son confident ; il s’est offert de la servir, il l’a conduite lui-même de Ferney à Collonges dans mon carrosse, moyennant une récompense[1] ; et c’est là qu’il l’a trahie pour avoir, outre sa récompense, le tiers des effets qu’il a fait saisir.

Cet homme, pour être plus sûr de sa proie, et craignant que nous ne réclamassions le carrosse, les chevaux et les habits qui étaient dans les malles mêlés avec les papiers de Mme Le Jeune, déclara que les papiers m’appartenaient ; et Mme Le Jeune eut la probité ou l’imprudence de dire, dans son trouble, que les papiers étaient à elle.

Nous ne savions point, quand nous avons commencé la procédure contre des quidams, que Janin était instruit du nom de Le Jeune. Nous ne pouvons plus continuer la procédure contre ce misérable, trop instruit que Mme Le Jeune est la femme de votre valet de chambre, et qui ne manquerait pas de le déclarer en justice.

Il est d’une nécessité indispensable de commencer par faire révoquer cet homme ; il n’est pas de la province, et il n’y restera certainement pas. Il n’y a qu’à dire un mot à Rougeot, fermier général, chargé de la ruine du pays de Gex ; il est de Dijon ; c’est un très-bon homme. M. de Courteilles ou quelque autre peut prier M. Rougeot de renvoyer Janin sans délai. J’agirai de mon côté. Rougeot m’aime, et il est venu coucher souvent à Ferney.

La destitution de cet homme est l’objet le plus important de cette affaire et le seul qui puisse nous délier les mains. Car ce monstre, n’osant avouer son crime, n’a été qu’un dénonciateur secret, et il n’est fait mention de lui, dans le procès-verbal de Collonges, que sous le nom d’un quidam. Dès qu’il sera écarté, nous serons à notre aise, et nous informerons contre ce quidam sans nommer Janin, ou, si on le nomme, il ne sera plus à craindre.

Mme Denis persiste toujours dans la juste résolution de redemander ses chevaux et son carrosse : car si elle consent à la saisie, elle s’avoue coupable, avec moi, d’un délit que nous n’avons commis ni l’un ni l’autre. Pour moi, je fonde mon innocence sur l’impossibilité morale que je fasse commerce de livres, et qu’à l’âge de soixante-treize ans je me sois fait colporteur pour faire fortune.

Tout ceci est horrible, je le sais, mon cher ange ; mais vous

  1. Voltaire avait donné cinquante louis d’or.