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que, suivant les remarques et les critiques que l’on fera, je corrigerai la pièce pour une seconde édition ; et ces deux feuilles n’étant point déformées, vous coûteront moins de temps et moins d’argent.

Je suis enchanté d’avoir trouvé un homme de lettres tel que vous, qui peut être à la fois mon libraire et mon juge.

M. de La Harpe, qui est chez moi, a remporté, comme vous savez, le prix de l’Académie[1]. Je suis heureux cette année en libraires et en élèves.

Je vous aurai, monsieur, une très-grande obligation si vous voulez bien faire imprimer dans l’Avant-Coureur et dans le Mercure le petit avis ci-joint[2]. Je ne peux encore vous dire à qui il faudra envoyer des exemplaires du Trinmvirat ; défaites-vous seulement de votre édition le plus tôt que vous pourrez.


6638. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[3].
29 décembre.

Voyez, mon cher ange, si Homère n’avait pas raison de dire que le destin est le maître de tout.

Premièrement, c’est un étrange effet de la destinée que la femme de votre laquais Le Jeune soit la sœur d’un homme qui aurait été peut-être maréchal de France s’il eût vécu, et qui sûrement aurait mérité de l’être.

Secondement, c’est encore une grande fatalité qu’elle soit venue à Ferney. Mais en voici une troisième non moins forte.

Parmi soixante et dix mille scélérats en commission, qui sont employés à tourmenter la nation dans les bureaux des fermes, il y a entre autres un scélérat nommé Janin, revêtu de l’emploi de contrôleur du dernier bureau entre la France et Genève, dans un village nommé Sacconex. Cet homme m’a les plus grandes obligations : j’ai empêché deux fois qu’on ne le chassât de son poste ; je lui ai prêté une maison, je lui ai prêté de l’argent. Lui et sa femme venaient souvent dîner à la table de notre maître d’hôtel. Il vit plusieurs fois cette pauvre Le Jeune, qui n’avait point d’autre nom dans la maison : car elle n’a pris le nom de Doiret qu’au bureau de Collonges, où elle a été arrêtée, à six lieues de Ferney, sur la route de Châlons.

  1. Discours des malheurs de la guerre et des avantanges de la paix.
  2. Voyez tome XXVI, page 103.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.