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ANNÉE 1766.

vous savez ; elle m’a dit qu’elle pourrait me défaire de quelques anciens habits de théâtre, et d’autres trop magnifiques pour moi. Elle en a rempli trois malles ; mais au fond de ces trois malles elle a mis quelques livres en feuilles qu’elle avait achetés à Genève. On dit qu’il y a quatre-vingts petits exemplaires d’un livre intitulé Recueil nécessaire, et d’autres livres pareils.

C’est l’usage, comme vous savez, que l’on fasse plomber ses malles au premier bureau, pour être ouvertes ensuite à la douane de Lyon ou de Paris.

Elle est donc allée faire plomber ses malles au bureau de Collonges, à la sortie du pays de Gex. Les commis ont[1] visité ses malles, ils y ont trouvé des imprimés ; ils ont saisi les malles, la voiture et les chevaux. Cette femme pouvait aisément se tirer d’affaire en disant : Il n’y a point là de contrebande, rien qui doive payer a la ferme ; je n’ai de vieux papiers imprimés que pour couvrir de vieilles hardes. Mais vous n’êtes pas en droit de saisir ce qui m’appartient. Elle avait avec elle un homme qu’on croyait intelligent, et qui a manqué de tête. Celle de la femme a tourné. Elle a pris la fuite parmi les glaces et les neiges, dans un pays affreux. On ne sait où elle est. Elle a fait un bien cruel voyage. Je ne sais point quels autres livres en feuilles elle a achetés à Genève ; j’ignore même si les rogatons qu’elle a achetés à Genève ne sont point des maculatures, des feuilles imparfaites qui servent d’enveloppe. En tout cas, je crois que les fermiers généraux chargés de ce département peuvent aisément faire restituer les effets dans lesquels il n’y a rien de sujet aux droits du roi. Ces fermiers généraux sont MM. Rougeot, Faventine et Poujaut ; ils peuvent aisément étouffer cette affaire.

À l’égard de la femme, sa fuite la fait croire coupable. Mais de quoi peut-elle l’être ? Elle ne sait pas lire ; elle obéissait aux ordres de son mari ; elle ne sait pas si un livre est défendu ou non. Je la plains infiniment ; je la fais chercher partout ; j’ai peur qu’elle ne soit en prison, et qu’on ne l’ait prise pour une Genevoise à qui il n’est pas permis d’être sur les terres de France.

Tandis que je la fais chercher de tous côtés, je pense bien qu’à la réception de cette lettre vous parlerez, mes divins anges, à Faventine, à Poujaut ou à Rougeot. Il n’y a pas certainement un moment à perdre. Un mot d’un fermier général au directeur

  1. Tout ce qui suit est de la main de Voltaire ; ce qui précède est de la main de Wagnière. Mais à la ligne 9, au-dessus du mot nécessaire, Voltaire avait, de sa main, ajouté par interligne : de chansons. (B.)