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ANNÉE 1766.

sa drogue ; ensuite les comédiens donnent notre orviétan sur leur échafaud, s’ils le veulent ou s’ils peuvent ; et notre pauvre honneur est en sûreté : car remarquez bien qu’ils ne représenteront jamais une pièce imprimée que quand le public leur dira : Jouez donc cela, il y a du bon dans cela, cela vous vaudra de l’argent. Alors ils vous jouent, ils vous défigurent ; Mlle Dumesnil court à bride abattue, une autre dit des vers comme on lit la gazette, un autre mugit, un autre fait les beaux bras, et la pièce va au diable ; et alors le public, qui est toujours juste, comme vous savez, avertit, en sifflant, qu’il siffle messieurs les acteurs et mesdemoiselles les actrices, et non pas le pauvre diable d’auteur.

Ce parti me paraît prodigieusement sage, et d’une très-fine politique. Faites imprimer votre Eudoxie ou Eudocie, quand nous en serons tous deux contents, et alors je vous réponds que les comédiens mêmes ne pourront la faire tomber.

Je vous souhaite d’ailleurs, pour l’année 1767, une maîtresse potelée, tendre, pleine d’esprit, et pourtant fidèle. Jouez du flageolet pour elle, et du violon pour vous. Cultivez les beaux-arts, jouissez de la vie. Vous êtes fait pour être une des créatures les plus heureuses, comme vous êtes des plus aimables. Maman et moi, et Cornélie-Chiffon, et tous ceux qui ont eu l’honneur de vous voir, vous font leurs plus tendres compliments.


6632. — À M. DE PEZAY.
À Ferney, 22 décembre.

L’amitié que vous me témoignâtes, monsieur, dans votre séjour à Ferney, et les sentiments que vous m’inspirâtes, me mettent en droit de me plaindre à vous de M. Dorat[1]. Il m’a confondu d’une manière bien désagréable avec Jean-Jacques, et il a trop oublié que l’ingratitude de ce malheureux envers

  1. Il venait de paraître un Avis aux sages du siècle, MM. de Voltaire et Rousseau, in-8o de 8 pages, commençant ainsi :

    Sages fameux, qu’allez-vous faire ?


    et se terminant par :

    Soyez toujours nos bienfaiteurs,
    Et, plus dignes de nos hommages,
    Achevez enfin par vos mœurs
    Ce qu’ont ébauché vos ouvrages.

    L’auteur de l’Avis aux sages est Dorat.