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ANNÉE 1766.

paraît un mauvais livre, ou ne manque pas de l’en accuser ; et il en paraît tous les jours. L’imposture frappe à toutes les portes. Tantôt le vinaigrier Chaumeix, convulsionnaire crucifié ; tantôt l’abbé d’Étrées, auteur de l’Année merveilleuse[1] et associé de Fréron ; tantôt un ex-jésuite, crient au scandale jusqu’à ce qu’ils aient persuadé quelque pédant accrédité ; et quelquefois la persécution suit de près la calomnie. On a beau faire du bien, on aurait beau même en faire à ces malheureux, ils n’en chercheraient pas moins à vous opprimer. Il faut combattre toute sa vie, et finir par s’enfuir si les méchants l’emportent.

Adieu, mon cher ami. Que j’avais bien raison de vous dire autrefois à la fin de mes lettres, en parlant de la calomnie : Écrasons l’infâme ! Mais il est plus aisé de le dire que de le faire.


6622. — À M. D’ALEMBERT.
20 décembre.

Mon cher philosophe, vous êtes mon philosophe ; plus je vous lis, plus je vous aime. Que de choses neuves, vraies, et agréables ! Votre idée du livre antiphysique[2] est aussi neuve que plaisante. Vous parlez mieux médecine[3] que les médecins. Puissent tous les magistrats apprendre par cœur votre page 79[4] ! Il y a un petit Commentaire[5] sur Beccaria, dont l’auteur est entièrement de votre avis. Or, quand deux gens qui pensent sont d’accord sans s’être donné le mot, il y a beaucoup à parier qu’ils ont raison. Chez les Athéniens il fallait, autant qu’il m’en souvient, les deux tiers des voix sur cinq cents pour condamner un coupable ; je n’en suis pas sûr pourtant.

En parlant de Creyge[6], vous marchez sur des charbons ar-

  1. Voyez la note, tome XXVI, page 136.
  2. Voyez, dans les Œuvres de d’Alembert (édition de 1821), I, 161, les Éléments de philosophie : l’auteur dit que, pour guérir les physiciens de la manie de tout expliquer, il a quelquefois désiré qu’on fît un ouvrage intitulé l’Antiphysique. Les Éclaircissements des Éléments de philosophie faisaient partie du tome V des Mélanges de d’Alembert.
  3. Voyez ibid., pages 163 et suivantes.
  4. Ibid., pages 167-168.
  5. Par Voltaire lui-même.
  6. Voyez Œuvres de d’Alembert, I, 161. Creyge est auteur des Principes mathématiques de théologie chrétienne, où il calcule la durée du christianisme, dont il assigne la fin à l’année 3150. Les réflexions de d’Alembert à ce sujet sont remarquablement mesurées.