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J’ai cru qu’on pouvait donner plus d’étendue au tableau de la nature, et qu’avec un peu d’art on pouvait mettre sur le théâtre les plus viles conditions avec les plus élevées : c’est un champ très-fécond que de plus habiles que moi défricheront. Je me suis sans doute rencontré avec l’auteur de Guillaume Tell[1]. Mandez-moi ce que vous en pensez, et aimez toujours votre ancien ami.


6620. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
19 décembre.

Mes divins anges, je ne veux point vous accabler des pièces qu’il faut coudre aux habits persans et scythes. Cette occupation deviendrait insupportable ; le mieux est d’achever le tableau dont vous avez l’esquisse, et de vous l’envoyer dans son cadre.

Comme je suis très-jeune, et que j’ai les passions fort vives, j’ai envoyé cette fantaisie à M. le duc de Choiseul avant d’y avoir mis la dernière main ; cependant il en a été si content qu’il ne bâlance point à la mettre au-dessus de Tancrède.

Vous m’avouerez qu’en qualité de riverain suisse, je devais cet hommage à mon colonel. Je craignais beauconp que Guillaume Tell ne fût précisément mon Indatire. Il était si naturel d’opposer les mœurs champêtres aux mœurs de la cour que je ne conçois pas comment l’auteur de Guillaume a pu manquer cette idée. Je m’attendais aussi à voir mon Sozame dans le Bélisaire de Marmontel ; on me mande qu’il n’en est rien. Qu’est donc devenue l’imagination ? Est-ce qu’il n’y en a plus en France ?

Mandez-moi, je vous en prie, si la pomme de M. Le Mierre réussit autant dans le monde que celle de Pâris et celle de madame Ève.

Vous disiez autrefois que je ne répondais point catégoriquement aux lettres. Vous avez pris mes défauts, et vous ne m’avez pas donné vos bonnes qualités ; c’est vous qui ne répondez point, car vous ne me dites seulement pas si M. le duc de Praslin a reçu le Commentaire[2] que je lui ai envoyé par M. Janel, et vous ne riez point assez de voir en quelles mains le premier envoi était tombé. On l’a lu, on en a été content, et on n’a pas voulu le rendre, en dépit du droit des gens.

  1. Tragédie de Le Mierre.
  2. Voyez tome XXV, page 539.