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ANNÉE 1766.

faire dans tous ces mouvements ; presque toutes les boutiques sont fermetés, et les bourses aussi. Donnez cependant à M. de Lemberta les cent écus dont vous serez remboursé ; j’en répondrai toujours.

L’abbé Coyer jure que ce n’est pas lui qui est l’auteur de la Lettre au docteur Pansophe. On en soupçonne beaucoup un monsieur Bordes, de l’Académie de Lyon, qui a déjà donné une Ode sous mon nom, pendant la dernière guerre. On ferait une bibliothèque des livres qu’on m’impute. Tous les réfugiés errants qui font de mauvais livres les vendent, sous mon nom, à des libraires crédules. Les Fréron et les Pompignan ne manquent pas de m’imputer ces rapsodies, qui sont quelquefois très-dangereuses. On me répond que c’est l’état du métier ; si cela est, le métier est fort triste.

Personne n’a encore ma tragédie ; M. d’Argental n’en possède que des fragments informes ; elle est intitulée les Scythes. C’est une opposition continuelle des mœurs d’un peuple libre aux mœurs des courtisans. Mme Denis et tous ceux qui l’ont lue ont pleuré et frémi. Je l’ai envoyée à M. le duc de Choiseul, qui me mande qu’elle vaut mieux que Tancrède. J’ai déjà composé une préface dans laquelle j’ai saisi une occasion bien naturelle de faire l’éloge de M. Diderot : cela m’a soulagé le cœur.

Je vous embrasse mille fois.


6619. — À M. THIERIOT.
19 décembre.

Je crois, mon ancien ami, que votre correspondant[1] aura été fort réjoui de l’épitaphe de la cruche étrusque[2]. Il est juste que je vous fournisse aussi de quoi amuser votre homme. Je vous envoie d’abord du sérieux, et ensuite vous aurez du comique.

M. Damilaville doit vous communiquer une scène d’une tragédie[3] que j’ai eu la sottise de faire malgré le précepte d’Horace, ""solve senescentem[4]. J’étais las de voir toujours des princes avec des princesses, et de n’entendre parler que de trônes et de politique.

  1. Le roi de Prusse.
  2. Diderot avait fait pour le comte de Caylus, mort en 1765, cette épitaphe :

    <poem>Ci-gît un antiquaire acariâtre et brusque, Ô qu’il est bien logé dans cette cruche étrusque ! </poem/>

  3. Les Scythes.
  4. Livre I, épitre i, vers 8.