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ANNÉE 1766.

Je ne réprouve pas moins ce livre comme citoyen ; l’auteur paraît trop ennemi des puissances. Des hommes qui penseraient comme lui ne formeraient qu’une anarchie ; et je vois trop, par l’exemple de Genève, combien l’anarchie est à craindre.

Ma coutume est d’écrire sur la marge de mes livres ce que je pense d’eux ; vous verrez, quand vous daignerez venir à Ferney, les marges du Christianisme dévoilé chargées de remarques qui montrent que l’auteur s’est trompé sur les faits les plus essentiels[1].

Il est assez douloureux pour moi, madame, que la malignité et la légèreté des papillons de votre pays, qui n’ont ni votre esprit ni vos grâces, m’imputent continuellement des ouvrages capables de perdre ceux qu’on en soupçonne.

Quant à M. le maréchal de Richelieu, je me doutais bien qu’il n’aurait pas le temps de parler à M. le comte de Saint-Florentin de la famille infortunée[2] qui a excité votre compassion : il allait partir pour Bordeaux. Votre jolie âme en a fait assez. Cette famille obtient, par vos bontés, une pension sur son propre bien, dont on lui arrache le fonds pour avoir donné, il y a vingt-six ans, à souper à un sot prêtre hérétique. Quand j’aurai quelque grâce à implorer pour des malheureux, je demanderai votre protection, madame, auprès de M. le duc de Choiseul. Je l’ai importuné quelquefois de mes indiscrètes requêtes, et il a toujours daigné m’accorder ce que j’ai pris la liberté de lui demander. Je craindrais bien de fatiguer ses bontés, si je ne savais par vous-même quel est l’excès de sa générosité.

Venez à Ferney, madame ; nous chanterons ses louanges et les vôtres, pour le prologue de l’opéra de Pandore ; et vous serez ma Pandore ; mais vous n’ouvrirez point la boîte.

Agréez, madame, le respect et l’attachement du vieux solitaire.


6614. — À M. LACOMBE[3].
15 décembre.

Il n’y a que deux hommes au monde, monsieur, qui puissent avoir écrit la Lettre à Pansophe : l’un est l’abbé Coyer, qui était alors en Angleterre ; l’autre est M. de Bordes, Lyonnais de beau-

  1. Voyez, tome XXXI, page 129, les notes de Voltaire sur le Christianisme dévoilé.
  2. Les Espinas ; voyez lettre 6530.
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.