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discret m’a damné en faisant courir ma lettre. J’en ai reçu des reproches de la part des préposés aux confitures, et je crois le confiseur très-embarrassé. Tâchez que l’enfer où je suis se tourne au moins en purgatoire : je ne crois pas en effet avoir fait des compliments à un confiseur que je ne connais pas. Mandez que cette lettre n’est pas de moi, car assurément elle n’est pas de moi, et vous ne mentirez pas. Mandez que vous vous êtes trompé ; mandez que ce n’est pas assez d’avoir l’innocence de la colombe, et qu’il faut encore avoir la prudence du serpent[1]. Marchez toujours dans les voies du juste : distribuez la parole de Dieu, le pain des forts ; faites prospérer la moisson évangélique : recevez ma bénédiction, et vivez dans l’union des fidèles.


6613. — À MADAME DE SAINT-JULIEN.
15 décembre.

Charmant papillon de la philosophie, de la société, et de l’amour, j’aurais été enchanté de vous voir honorer encore ma retraite d’une de vos apparitions ; vous auriez même été mon premier médecin, car il y a environ deux mois que je ne sors guère de mon lit.

Savez-vous bien, madame, que j’ai des choses très-sérieuses à répondre à la lettre très-morale que vous n’avez point datée ? Vous m’apprenez que, dans votre société, on m’attribue le Christianisme dévoilé, par feu M. Boulanger ; mais je vous assure que les gens au fait ne m’attribuent point du tout cet ouvrage. J’avoue avec vous qu’il y a de la clarté, de la chaleur, et quelquefois de l’éloquence ; mais il est plein de répétitions, de négligences, de fautes contre la langue, et je serais très-fâché de l’avoir fait, non-seulement comme académicien, mais comme philosophe, et encore plus comme citoyen.

Il est entièrement opposé à mes principes. Ce livre conduit à l’athéisme, que je déteste. J’ai toujours regardé l’athéisme comme le plus grand égarement de la raison, parce qu’il est aussi ridicule de dire que l’arrangement du monde ne prouve pas un Artisan suprême, qu’il serait impertinent de dire qu’une horloge ne prouve pas un horloger[2].

  1. Matthieu, x,16.
  2. Voltaire avait déjà dit cela en 1734 ; voyez tome XXII, page 194. Il a depuis exprimé cette idée dans ces vers des Cabales (voyez tome X) :

    · · · · · · · · · · Je ne puis songer
    Que cette horloge existe, et n’ait point d’horloger.