Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
533
ANNÉE 1766.

gratis le pain des forts[1]. Il faut que frère Nonotte soit bien ingrat d’écrire contre moi, dans le temps que je loge et nourris un de ses confrères ; mais quand il s’agit de la sainte religion, l’ingratitude devient une vertu.

Je vous souhaite pour l’année prochaine la ruine de la superstition.

Vous connaissez sans doute à Dijon quelqu’un de vos confrères qui pense sagement. Vous pourriez me rendre un grand service en le priant de s’informer bien exactement quelle est la raison pour laquelle les ex-jésuites de Dijon ne voulurent point voir mon ex-jésuite de Ferney, quand il fit le voyage. Mon ex-jésuite s’appelle Adam. Il dit fort proprement la messe ; il a marié des filles dans ma paroisse, avec toute la grâce imaginable. Il avait le malheur d’être brouillé depuis longtemps avec les jésuites bourguignons, quoiqu’il aime assez le vin. En un mot, ni le révérend père provincial, ni le révérend père recteur, ni le révérend père préfet, enfin aucun ex-révérend cuistre ne voulut voir mon aumônier ; et, comme les jésuites disent toujours la vérité, je voudrais savoir s’ils lui ont refusé le salut parce qu’il dit la messe chez moi, ou si c’est une ancienne rancune de prêtre à prêtre. Voyez, monsieur, si vous pouvez et si vous voulez vous charger de cette grande négociation. Elle m’aura procuré au moins le plaisir de m’entretenir avec un homme qui pense, ce qui n’est pas extrêmement commun. Je vous prie de compter sur les sentiments qui m’attachent véritablement à vous.


6612. — À M. LE MARQUIS DE VILLEVIEILLE.
14 décembre.

J’ai reçu votre petit billet de Valence, mon cher marquis, et je vous écris à tout hasard à Valence. Je suis enchanté que vous vous confirmiez de plus en plus dans vos bons principes ; mais la maison du Seigneur est entourée d’ennemis, et il y a bien des indiscrets dans le temple. Vous souvenez-vous d’une réponse que je vous fis lorsque vous étiez à Nancy ? Je faisais des compliments au brave confiseur qui vendait vos dragées : vous envoyâtes ma lettre[2] à un de vos élus de Paris, et cet élu très-in-

  1. Ézéchiel, xxxix, 18, parle de la chair des forts : voyez son texte rapporté tome XLI, page 151.
  2. Le marquis de Villevieille était à Nancy en décembre 1765 ; il y était encore en juin et juillet 1766 ; voyez lettres 6049, 6360, 6416. Si ce n’est pas de cette dernière lettre que parle Voltaire, c’est d’une qui est perdue.