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ANNÉE 1766.
6607. — À MADAME LA MARQUISE DE BOUFFLERS[1].
Au château de Ferney, par Genève, 10 décembre.

Madame, si mon âge et mes maladies me l’avaient permis, je serais sûrement venu vous faire ma cour, et à M. le prince de Beauvau, quand vous avez passé par Lyon. Vous allez en Languedoc ; votre premier plaisir sera d’y faire du bien. Je vous propose, madame, une action digne de vous, et dont tous les honnêtes gens de France vous auront obligation.

Il y a dans Toulouse un avocat célèbre, nommé M. de Sudre, qui osa seul défendre les Calas contre l’abominable fanatisme qui a fait expirer sur la roue un vieillard innocent. Les Toulousains, ayant enfin ouvert les yeux, ont élu d’une voix unanime M. de Sudre pour premier capitoul ; la ville en présente trois, le roi en choisit un ; les deux autres n’ont point été nommés unanimement comme M. de Sudre. Il a pour lui de longs services, et l’honneur d’avoir seul protégé l’innocence, lorsque tout le monde l’abandonnait et la calomniait.

Je vous conjure, madame, d’obtenir que M. le prince de Beauvau soit le protecteur de ce digne homme auprès de M. le comte de Saint-Florentin ; c’est une très-grande obligation que je vous aurai à tous deux, et que je partagerai avec quelques millions d’hommes. La chose presse ; j’attends tout d’un cœur comme le vôtre.

Je suis avec un profond respect et un attachement inviolable, madame, de vous et de M. le prince de Beauvau le très-humble et très-obéissant serviteur.


6608. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
10 décembre.

Je pourrais maintenant dire à mes anges que j’ai fait à peu près tout ce qu’ils ont ordonné, excepté leur cruelle proposition d’épuiser l’amour et l’intérêt en parlant trop tôt d’amour. Je pourrais fatiguer leurs bontés par mille petites remarques ; mais comme il n’est point question de faire jouer la pièce, je ne les fatiguerai pas ; j’ai bien à leur parler d’autre chose, et voici sur quoi je supplie leurs ailes de trémousser beaucoup.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.