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le prince, mais à Gabriel Cramer, le marquis, lequel est très-bon acteur, et sent ce qui doit faire effet. Il a pleuré et frémi.

Mais ce qui me fait frémir, moi, c’est que les comédiens de Paris vont jouer les Suisses[1], et que mes Scythes, venant après, ne paraîtront qu’une copie. Je perds à la fois le piquant de la nouveauté et l’agrément de mon alibi. Voilà probablement bien de la peine inutile.

Au reste, mes anges, vous serez farcis de pièces nouvelles cette année. Vos plaisirs sont assurés ; mais moi misérable, je n’ai d’autre consolation que celle de chercher à mériter votre suffrage.

Enfin donc, nous allons avoir le mémoire pour les Sirven. Je recommande cette véritable tragédie à vos bontés. Respect et tendresse.


6599. — À M. DAMILAVILLE.
1er décembre.

Mon cher ami, j’ai prié M. d’Argental de vous mettre dans la confidence d’un drame[2] d’une espèce assez nouvelle. Je ne veux rien avoir de caché pour vous. Je crois que cet ouvrage était absolument nécessaire pour confondre la calomnie, cette calomnie dont je vous parlais si souvent en vous disant : Ècr. l’inf….

Vous savez avec quel acharnement elle m’impute, presque tous les mois, quelque mauvais livre bien scandaleux que je n’ai jamais lu et que je ne lirai jamais. Les mauvais poëtes ne sachant plus comment s’y prendre pour me perdre, après m’avoir immolé à Crébillon, m’ont voulu immoler aux jansénistes ; ils se sont avisés de faire de moi un théologien, et ils prétendent, avec l’abbé Guyon et l’abbé Dinouart[3], que je traite continuellement la controverse. Or certainement un homme qui fait une tragédie n’a guère le temps de controverser. Une tragédie demande un homme tout entier, et le demande pour longtemps. Non-seulement je me suis remis à faire des pièces de théâtre, mais j’en fais faire. Je m’occupe beaucoup de celle à laquelle La Harpe travaille actuellement sous mes yeux, et j’en ai de grandes espérances. J’ai dans ma vieillesse la consolation de former des élèves : je rends par là tout le service que je puis rendre aux

  1. Le Guillaume Tell de Le Mierre.
  2. Les Scythes.
  3. L’un, auteur de l’Oracle des philosophes ; l’autre, rédacteur du Journal chrétien.