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Je ne pouvais deviner pourquoi il conseillait à Émile d’épouser la fille du bourreau ; mais je vois bien à présent que c’était pour se faire un ami dans l’occasion.

Adieu : souvenez-vous que Judas n’a pas décrédité les apôtres.


6568. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
7 novembre.

Vraiment cela n’allait pas mal ; j’étais en train. Je me disais : Il y a là des choses qui plairont à mes anges ; cette idée me soutenait. Mais, mes anges ! les tracasseries viennent en foule : elles tarissent la source qui commençait à couler. On me conteste la turpitude de notre ami Jean-Jacques. On soutient que Jean-Jacques était secrétaire d’ambassade à Venise, et qu’il avait seul le secret du ministère. M. le chevalier de Taulès m’a apporté les originaux des lettres de Jean-Jacques, où il n’est question que de coups de bâton, et point du tout de politique. Il est avéré que ce grand homme, loin d’avoir le secret de la cour, était copiste chez M. le comte de Montaigu, à deux cents livres de gages. Monsieur l’ambassadeur et M. le chevalier de Taulès sont d’avis qu’on imprime ces lettres pour les joindre à l’éducation d’Émile, dès qu’Émile sera reçu maître menuisier, et qu’il aura épousé la fille du bourreau.

Je conçois bien que la publication de la honte de Jean-Jacques pourrait servir à ramener à la raison le parti qu’il a encore dans Genève, et refroidirait des têtes qu’il enflamme, et qui s’opposent à la médiation. Mais, comme ces lettres sont tirées du dépôt des affaires étrangères, je n’ose rien faire sans le consentement de M. le duc de Praslin et de M. le duc de Choiseul. Je remets cette affaire, mes divins anges, comme toutes les autres, à votre prudence et à vos bontés, il me paraît essentiel que le ministère de France soit lavé de l’opprobre qui rejaillirait sur lui d’avoir employé Jean-Jacques. C’est trop que des d’Éon et des Vergy. La manière insultante dont ce malheureux Rousseau a parlé, dans plusieurs endroits, de la cour de France[1], exige qu’on démasque ce charlatan, aussi méchant qu’absurde. Nous verrons si Mme la duchesse de Luxembourg[2] et Mme de Boufflers le soutiendront encore. On me mande qu’il est en horreur à tous les honnêtes gens, mais je sais qu’il a encore des partisans.

  1. Voyez la lettre 6564.
  2. Voyez la lettre du 9 janvier 1765, tome XLIII.