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m’étonne, c’est que messieurs les correcteurs ne se soient pas aperçus de certaines incongruités qu’ils auraient pu rectifier avec un coup de plume, comme la double généalogie, la prophétie dont vous faites mention, et nombre d’erreurs de noms de villes, de géographie, etc., etc. : les ouvrages marqués au sceau de l’humanité, c’est-à-dire de bévues, d’inconséquences, de contradictions, devaient ainsi se déceler eux-mêmes. L’abrutissement de l’espèce humaine, durant tant de siècles, a prolongé le fanatisme. Enfin vous avez été le Bellérophon qui a terrassé cette Chimère.

Vivez donc pour achever d’en disperser les restes. Mais surtout songez que le repos et la tranquillité d’esprit sont les seuls biens dont nous puissions jouir durant notre pèlerinage, et qu’il n’est aucune gloire qui en approche. Je vous souhaite ces biens, et je jure par Épicure et par Aristide que personne de vos admirateurs ne s’intéresse plus que moi à votre félicité.

Fédéric.

6558. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
3 novembre.

Mes divins anges, pour peu que l’état où je suis continue ou empire, vous serez mal servis. Il faut de la force pour traiter le beau sujet, l’intéressant sujet, mais le difficile sujet que j’ai trouvé[1]. J’ai besoin d’une santé que je n’ai pas ; j’ai besoin surtout du recueillement et de la tranquillité qu’on m’arrache. Le couvent que j’ai bâti pour vivre en solitaire ne désemplit point d’étrangers ; et vous savez quelles horreurs, soit de Paris, soit d’Abbeville, ont troublé mon repos et affligé mon âme.

Voilà encore ce malheureux charlatan J.-J.-Rousseau qui sème toujours la tracasserie et la discorde dans quelque lieu qu’il se réfugie. Ce malbeureux a persuadé à quelques personnes du parti opposé à celui de M. Hume que je m’entendais contre lui avec ce même Hume qui l’a comblé de bienfaits. Ce n’est pas assez de le payer de la plus noire ingratitude, il prétend que je lui ai écrit à Londres une lettre insultante[2], moi qui ne lui ai pas écrit depuis environ neuf ans. Il m’accuse encore de l’avoir fait chasser de Genève et de Suisse ; il me calomnie auprès de M. le prince de Conti et de Mme la duchesse de Luxembourg[3]; il me force ; enfin de m’abaisser jusqu’à me justifier de ces ridicules et odieuses imputations. La vie d’un homme de lettres est un combat perpétuel, et on meurt les armes à la main.

  1. Les Scythes, dont il a déjà parlé dans la lettre 6521.
  2. La Lettre au docteur Pansophe.
  3. Voyez la lettre à cette dame, du 9 janvier 1765, tome XLIII.