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ANNÉE 1766.

que je voudrais ? Cela paraît ridicule, mais je ne désespérerais pas de les empêcher d’aller au désert. À l’égard de cette pauvre famille d’Espinas[1], voyez ce que vous pouvez faire sans compromettre votre crédit. Il me semble que quand on délivre un homme des galères, il ne faut pas le condamner à mourir de faim. On doit faire grâce entière. Il faut lui rendre son bien. J’ose encore vous conjurer de dire un mot à M. de Saint-Florentin. Vous ne lui direz pas sans doute que c’est moi qui vous en ai supplié.

Me permettez-vous de mettre dans votre paquet, qui est déjà bien long, un petit mot pour Mme de Saint-Julien ?

Agréez mon profond respect et mon attachement inviolable.


6548. — À MADAME DE SAINT-JULIEN[2].
À Ferney, 28 octobre.

Je ne sais, madame, si vous avez reçu une lettre que j’eus l’honneur de vous adresser à la Grange-Batelière, il y a environ un mois. Il me souvient que dans le temps où vous honorâtes mon couvent de votre apparition, vous me dîtes que les lettres qu’on vous écrivait étaient quelquefois reçues par votre ex-mari ; il aura vu que je suis un galant presque aussi dangereux que Moncrif, quoique je ne sois pas si bien coiffé que lui, et voilà à peu près tout ce qu’il aura vu. Je crois que je vous parlais encore d’un galérien. Enfin, je suis curieux de savoir si ma lettre vous est parvenue : je serais encore plus curieux, madame, d’apprendre si vous êtes heureuse, si votre brillante imagination vous fait goûter les plaisirs des illusions, ou si vous en avez de réels ; si vous tuez des perdrix ou si vous vous contentez de tuer le temps ; si vous avez vu Mlle Durancy[3] et si vous en avez été contente ; si vous avez lu le procès de Hume et de Jean-Jacques, et s’il vous a fait bâiller.

N’allez-vous pas mettre M. Thomas de l’Académie ? L’abbé de Voisenon ne lui refusera pas sa voix ; le public lui donne la sienne. Pour moi, madame, je vous donne la mienne : car vous avez plus de goût et d’esprit que toute notre Académie ensemble.

  1. Voyez lettre 6530.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.
  3. De la Comédie française. Elle avait d’abord débuté sans succès à l’Opéra. Il parait qu’elle ne fut pas meilleure comédienne que chanteuse. Aussi Mlle Durancy est-elle moins connue par son talent que par un jeu de mots un peu leste de Sophie Arnould sur son nom. (A. F.)