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très-bonne famille. Enfin vous ne m’aviez pas ordonné de le faire manger à la table de Mme Denis. Il a bien envie de mettre en œuvre les recherches qu’il a faites sur la province de Dauphiné, et d’en donner une petite histoire dans le goût du président Hénault : mais je ne sais rien ou pas grand’chose dans ma bibliothèque qui puisse seconder son envie, et il n’a apporté de Paris que les Amours du père La Chaise#1, pour commencer son ouvrage, qui, étant fait sous mes yeux, et vous étant dédié par votre petit élève, pourrait l’annoncer avantageusement dans le monde. Ses parents sont auprès de Grenoble, où il peut les voir, et acheter à peu de frais le peu de livres qui lui sont nécessaires. Il m’a dit qu’il vous en écrivait ; j’attends vos ordres là-dessus avant de rien faire. Cet enfant aurait besoin de quelques petits secours pour son entretien. J’ai cru voir par votre lettre que votre intention était que je les lui donnasse. Faites-moi connaître vos ordres là-dessus, je les suivrai ponctuellement. Il faut avouer que ce que vous avez fait pour lui depuis quinze ans est une des belles actions de votre vie. Vous devez le regarder comme un dépôt confié à mes soins, comme votre futur secrétaire. Il est très en état d’en devenir un du premier ordre. L’esprit est une grande ressource. Comme je vous instruirai exactement de la manière dont il tournera, vous ne lui ferez pas sentir que vous êtes instruit de rien par mon canal. Il n’aurait plus de confiance en moi, et il en a beaucoup, car il me dit tout ce qu’il pense. Mais, avant de penser à ses fautes, qui ne sont encore qu’idéales, je vais vous parler des miennes, qui sont réelles, et qui seraient bien plus grandes encore si je tenais en effet école de raison. Mais on m’impute tous les jours des livres auxquels je n’ai pas la moindre part, et que même je n’ai pas lus. L’indiscrétion de ceux qui me viennent voir relève toutes mes paroles. C’est un malheur attaché au dangereux avantage d’une célébrité que je maudis. Quand on est un homme public, il faut être un homme puissant, ou l’on est écrasé de tous les côtés. J’ai des protecteurs dans toute l’Europe, à commencer par le roi de Prusse, qui est revenu à moi entièrement ; mais je me flatte que je n’aurai aucun besoin de ces appuis ; je crois avoir pris mes mesures pour mourir tranquille.

Je conviens de tout ce que vous me dites sur ces plats huguenots et sur leurs impertinentes assemblées. Savez-vous bien qu’ils m’aiment à la folie, et que, si j’étais parmi eux, j’en ferais ce[1]

  1. C’est le second volume de l’Histoire du Père La Chaise, 1696, deux vol. in-12.