Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/462

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien en s’élevant contre certaines atrocités, et en ramenant les hommes à la douceur et à la vertu. La raison est victorieuse à la longue ; elle se communique de proche en proche. Une douzaine d’honnêtes gens qui se l’ont écouter produit plus de bien que cent volumes : peu de gens lisent, mais tout le monde converse, et le vrai fait impression.

Votre petit Mazar, madame, a pris, je crois, assez mal son temps pour apporter l’harmonie dans le temple de la Discorde. Vous savez que je demeure à deux lieues de Genève : je ne sors jamais ; j’étais très-malade quand ce phénomène a brillé sur le noir horizon de Genève. Enfin il est parti, à mon très-grand regret, sans que je l’aie vu. Je me suis dépiqué en faisant jouer sur mon petit théâtre de Ferney des opéras-comiques pour ma convalescence ; toute la troupe de Genève, au nombre de cinquante, a bien voulu me faire ce plaisir. Vous croyez bien que l’auteur de la Henriade a fait jouer Henri IV. Nous avons tous pleuré d’attendrissement et de joie quand nous avons vu la petite famille se mettre à genoux devant ce bon roi. Tout cela est consolant, je l’avoue ; mais il y a trop de méridiens entre vous et moi : mon malheur est que mon château n’est pas une aile du vôtre ; c’est alors que je serais heureux. Mme  Denis pense comme moi ; permettez-nous d’embrasser M. Grimm. Adieu, madame ; vivez heureuse. Agréez mon très-tendre respect.


6525. — À M.  LE DUC DE NIVERNAIS[1].
Au château de Ferney, par Genève, 29 septembre 1766.

Oserai-je, monseigneur le duc, prendre la liberté de vous importuner ? Vous me le pardonnerez, car il s’agit de faire du bien et de mettre le comble à vos bienfaits envers une famille que vous avez daigné tirer de l’état le plus horrible.

Vous avez, monseigneur, fait sortir des galères par votre protection le sieur d’Espinasse, d’une très-bonne famille de Languedoc. Il avait subi ce supplice pendant vingt-trois années, et il était condamné aux galères perpétuelles pour avoir donné à souper et à coucher à un prédicant. Son bien fut contistué selon l’usage, et le tiers du revenu fut retenu pour la nourriture de ses enfants, qui n’en ont jamais rien touché. Sa femme, qui est respectable par sa vertu et par ses malheurs, est retirée à Lau-

  1. Éditeurs, Bavoux et François.