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toute votre pitié. Vingt-trois ans de galères pour avoir donné à souper sont une chose un peu dure ; jamais souper ne fut si cher. Voilà toute une famille réduite à la plus honteuse misère : elle redemande son bien ; il n’y a rien de plus juste. Et ne dois-je pas me flatter qu’une âme aussi généreuse que la vôtre daignera faire cette bonne œuvre ? Recommandez ces infortunés à M.  de Saint-Florentin, je vous en conjure. Ma position est cruelle : je me trouve nécessairement entouré des persécutés qui fondent autour de moi : les d’Espinas, les Calas, les Sirven, m’environnent ; ce sont des roues, des potences, des galères, des confiscations ; et les chevaliers de La Barre ne m’ont pas mis de baume dans le sang.

Quand vous aurez quelque moment de loisir, monseigneur, je vous demanderai en grâce de lire le factum en faveur des Sirven ; il va être imprimé : c’est une affaire qui concerne une province dont vous êtes encore béni tous les jours. Vous verrez un morceau véritablement éloquent, ou je suis fort trompé.

J’ai eu l’insolence de faire venir chez moi une troupe de comédiens qui ont joué très-bien Henri IV avec Annette et Lubin. C’est dommage qu’Annette n’ait pas de musique, car la comédie est charmante. Pour Henri IV, j’aurais voulu qu’il eût eu un peu plus d’esprit ; mais le nom seul d’Henri IV m’a ému. Il suffit souvent d’un nom pour le succès. Il y a dans cette troupe une actrice qui joue, à mon gré, un peu mieux que Mlle  Dangeville, quoiqu’elle ne soit pas si jolie. Dieu vous donne acteurs et actrices à la Comédie française !

Nous allons avoir Mme  de Brionne et Mme  la princesse de Ligne : où me fourrerai-je ? J’étais enchanté d’avoir Mme  de Saint-Julien.

Je me mets à vos pieds avec la tendresse la plus respectueuse.


6503. — À M.  ÉLIE DE BEAUMONT.
15 septembre.

Je ne crois pas, monsieur, qu’on puisse reculer sur M.  Chadon. J’avais, comme vous savez, exécuté vos ordres sitôt que vous me les aviez eu donnés : j’avais écrit à M.  le duc de Choiseul ; il me mande qu’il est ami de M.  Chardon, et qu’il va le proposer à monsieur le vice-chancelier pour rapporteur de l’affaire. M.  le duc de Choiseul protégera les Sirven comme il a protégé les Calas ; c’est une belle âme, je ne le connais que par des traits de