Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome44.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
ANNÉE 1766.

manqueront pas de vous dénoncer : on dit qu’elles ont toutes beaucoup d’esprit, et qu’elles sont fort instruites. Vous ne sauriez croire combien je suis enchanté de voir tant de raison et tant de tolérance dans ce siècle. Il faut avouer qu’aujourd’hui aucune nation n’approche de la nôtre, soit dans les vertus pacifiques, soit dans la conduite à la guerre. Comme je suis extrêmement modeste, je ne mettrai point mon nom au bas des justes éloges que méritent vos compatriotes. Je vous supplie de vouloir bien me faire part du dispositif de l’arrêt, lorsqu’il sera rendu[1].


6485. — À M. DAMILAVILLE.
5 septembre.

On m’a fait voir enfin, mon cher ami, mes prétendues Lettres[2] imprimées à Amsterdam par le sieur Robinet. Il y en a trois qu’on impute bien ridiculement à Montesquieu[3]. Les autres sont falsifiées, selon la méthode honnête des nouveaux éditeurs de Hollande. Les notes qu’on y a jointes méritent le carcan. Il est bien triste que votre ami ait été en relation avec ce Robinet.

Vous devez avoir actuellement la lettre[4] du vertueux Jean-Jacques à ce fripon de M. Hume, qui avait eu l’insolence de lui procurer une pension du roi d’Angleterre ; c’est un trait qu’un galant homme ne peut jamais pardonner. Je me flatte que vous m’enverrez cette belle lettre de Jean-Jacques ; on dit qu’il y a huit pages entières de pauvretés. Le bruit court qu’il est devenu tout à fait fou en Angleterre, physiquement fou ; qu’on le garde actuellement à vue, et qu’on va le transférer à Bedlam. Il fau-

  1. Une lettre de Voltaire, datée de Ferney, 4 septembre 1766, à Chabanon, est signalée dans un catalogue d’autographes vendus le 17 mars 1881, avec cette mention : « Lettre des plus remarquables, où il déclare que ce n’est pas à la philosophie qu’il faut attribuer la décadence des beaux-arts. « C’est du temps de Newton qu’ont fleuri les meilleurs poëtes anglais ; Corneille était contemporain de Descartes, et Molière était élève de Gassendi » Le dégoût est venu de l’abondance. Racine était un homme adroit ; il louait beaucoup Euripide, l’imitait un peu (il en a pris tout au plus une douzaine de vers), et il le surpassait infiniment. C’est qu’il a su se plier au goût, au génie de la nation, un peu ingrate, pour laquelle il travaillait. C’est la seule façon de réussir dans tous les arts. Je veux croire qu’Orphée était un grand musicien, mais s’il revenait parmi nous pour faire un opéra, je lui conseillerais d’aller à l’école de Rameau. »
  2. Voyez tome XXV, page 579.
  3. Voyez ibid., page 583.
  4. La lettre de J.-J. Rousseau à Hume est du 10 juillet 1766.