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n’arai de consolation que quand vous m’enverrez le factum du brave Élie.

Voici un petit mot de lettre pour M.  d’Alembert ; il m’ouvre son cœur, et M.  Diderot me ferme le sien. Il est triste qu’il néglige ceux qui ne voulaient que le servir, et je vous avoue que son procédé n’est pas honnête. Je vois que les philosophes seront toujours de malheureux êtres isolés qu’on dévorera les uns après les autres, sans qu’ils s’unissent pour se secourir. Sauve qui peut ! sera la devise de ce commun naufrage. Les persécuteurs finiront par avoir raison, et la plus pure portion du genre humain sera à la fois sous le couteau et dans le mépris.

Je vous prie, mon cher frère, de demander à Élie[1] s’il est vrai que ce bœuf de Pasquier mugisse encore contre moi, et s’il est assez insolent pour croire qu’il peut m’embarrasser. Je veux surtout avoir l’ancien mémoire pour M.  de La Bourdonnais : cinq ou six procès dans ce goût pourront faire un volume honnête qui instruira la postérité, et du moins les assassins en robe pourront devenir l’exécration du genre humain.

Adieu, mon cher frère ; écrivez-moi de toute façon, sans vous compromettre, afin que je puisse savoir tout ce que vous pensez. Je vous embrasse mille fois. Écr. l’inf…, écr. l’inf…, écr. l’inf…


6471. — À MADAME LA LANDGRAVE DE HESSE[2].
Ferney, 25 août 1766.

Madame, permettez que j’adresse à Votre Altesse sérénissime les très-humbles remerciements des Sirven, et que je me mette avec eux à vos pieds. Les derniers mots de la lettre dont Votre Altesse sérénissime m’honore ont consolé ma vieillesse et échauffé les restes languissants de mon âme. Vous détestez la tyrannie et la superstition ; inspirez, madame, ces nobles sentiments à tous ceux qu’un mot de votre bouche et un seul de vos regards persuadent. Vous avez l’empire de la beauté et celui de la philosophie. Que n’ai-je pu, avant d’achever ma vie, venir vous faire ma cour, vous voir, vous entendre, vous respecter, et bénir le ciel et la nature qui produisent des êtres tels que vous, pour les opposer apparemment aux monstres qui affligent la terre !

  1. Élie de Beaumont.
  2. Briefwechsel des Grossen Landgräfin Caroline von Hessen. — Von dr Ph-A.-F. Walther. — Wien, 1877, tome II, page 420.