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ANNÉE 1766.
6435. — À M.  DE LA HARPE.
Au eaux de Rolle, 28 juillet.

Vous partagerez donc vos faveurs, monsieur, entre mes deux nièces, cette année. Vous allez dans le pays du chevalier de La Barre ; il n’y a point de tragédie plus terrible que celle dont il a été le héros. Il est mort avec un courage étonnant, et avec un sang-froid et une raison qu’on ne devait pas attendre des extravagances de son âge. Il était petit-fils d’un lieutenant général fort estimé ; tout le monde le plaint. Il avait commis les mêmes imprudences que Polyeucte, à cela près que Polyeucte avait raison dans le fond, et qu’il était animé de la grâce ; au lieu que son imitateur ne l’était que par la folie. Les larmes coulent volontiers pour la jeunesse qui a fait des fautes, et qu’elle aurait réparées dans l’âge mûr. Nous vous souhaitons une vie heureuse, dans ce chaos de malheurs et de peines qu’on appelle le monde, dont vous serez un jour détrompé. Soyez au-dessus des bons et des mauvais succès ; mais soyez sensible à l’amitié : elle seule adoucit les maux de la vie.

Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.


6436. — À M.  LACOMBE[1].
28 juillet.

J’ai reçu, monsieur, votre lettre du 21 juillet. Quoique je sois ami de l’auteur, il s’en faut bien que je pense de son ouvrage[2] aussi favorablement que vous. Il n’est point du tout théâtral ; mais je pense comme vous qu’on pourra le lire, et que les notes sont curieuses. Vous êtes prié de vouloir bien m’adresser la préface, qu’il faut absolument corriger. On vous la renverra sur-le-champ, et si vous pouvez indiquer une adresse franche par la poste, on s’en servira. Je vous supplie de la part de l’auteur de faire une très-jolie édition. On ne vous conseille pas d’en tirer un grand nombre d’exemplaires, par la raison que, si l’ouvrage avait un peu de succès, on y joindrait quelques autres écrits, et cela pourrait vous procurer une seconde édition qui serait recherchée. On vous renouvelle, monsieur, les sentiments d’estime et d’amitié qu’on a pour vous, et c’est de tout mon cœur[3].

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le Triumvirat.
  3. Ces derniers mots sont de la main de Voltaire.