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CORRESPONDANCE.

dra la destinée des Siren. On m’a mandé que le parlement n’avait point signé l’arrêt qui condamne les jeunes fous d’Abbbeville, et qu’il avait voulu laisser à leurs parents le temps d’obtenir du roi une commutation de peine ; je souhaite que cette nouvelle soit vraie. L’excellent livre des Délits et des Peines, si bien traduit par l’abbé Morellet, aura produit son fruit. Il n’est pas juste de punir la folie par des supplices, qui ne doivent être réservés qu’aux grands crimes.

Est-il vrai qu’on va donner Henri IV[1] sur le théâtre de Paris ? Son nom seul fera jouer la pièce six mois ; je l’ai toujours pensé ainsi. Mes tendres compliments à Platon, je vous en prie.


6374. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, ce 26 juin.

Je savais bien, mon cher et illustre maître, que le nommé Vernet, au cou tord ou tors[2], avait publié incognito des lettres contre vous, contre moi, et contre bien d’autres ; mais j’ignorais qu’il voulût les ressusciter : elles étaient si bien mortes, ou plutôt elles étaient mort-nées. Quoi qu’il en soit, j’aurai soin de ce jésuite presbytérien, et je ne manquerai pas de lui dire un mot d’honnèteté à la première occasion ; mais un mot seulement, parce qu’il n’en mérite pas davantage, et que je ne veux pas tout à fait demeurer en reste avec un honnête prêtre comme lui : Ne prorsus insalutatem dimittam.

À propos de latin, quoque cela ne vienne pas à ce que nous disons, dites-moi, je vous prie (j’ai besoin de le savoir, et pour cause), si c’est vous, comme je le crois, qui avez fait les deux vers latins qui sont à la tête de votre Dissertation sur le feu[3], et si le second est cuncta foret ou cuncla purit.

J’ai actuellement entre les mains le livre de Fréret, ou, si vous le voulez, d’un capitaine au régiment du roi, ou de qui il vous plaira. Si ce capitaine était au service de notre saint-père le pape, je doute qu’il le fît cardinal, à moins que ce ne fût pour l’engager à se taire : car ce capitaine est un vrai cosaque, qui brûle et qui dévaste tout. C’est dommage que l’assemblée du clergé finisse, elle aurait beau jeu pour demander que le capitaine Fréret fût mis au conseil de guerre pour être ensuite livré au bras séculier, et traité suivant la douceur des ordonnances de notre mère la sainte Église.

Quoi qu’il en soit, ce livre est, à mon avis, un des plus diaboliques qui aient encore paru sur ce sacré sujet, parce qu’il est savant, clair, et bien rai-

  1. La Partie de chasse de Henri IV, par Collé.
  2. D’Alembert, fait allusion à une note plaisante de la Lettre curieuse ; voyez tome XXV, page 494.
  3. Voyez tome XXII, page 279 ; et, ci-après la lettre 6379.