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ANNÉE 1766.

de théâtre : les ailes qu’on bâtit ne sont pas encore achevées ; le prieur du couvent est malade, la prieure aussi ; ils seraient désespérés tous deux de ne pouvoir recevoir de tels hôtes d’une manière qui pût leur plaire. Le voisinage est très-triste. Cependant, si les dieux s’avisaient de descendre dans ces hameaux, ils trouveraient encore des Baucis et des Philémons ; mais il vaudrait encore mieux recevoir des philosophes que des princesses.


6371. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Ferney, par Genève, 21 juin 1766.

Madame, Votre Altesse sérénissime sait que mon état me permet bien rarement d’écrire ; elle daigne y compatir. L’occasion qui se présente me rend un peu de force. Il s’agit de faire du bien, de secourir des innocents infortunés, et de désarmer la superstition. Qui sera à la tête de cette entreprise, si ce n’est madame la duchesse de Saxe-Gotha ? Daignez lire ce mémoire, madame, et votre cœur généreux sera touché.

Permettez que votre auguste nom honore la liste des princes qui veulent bien secourir la famille dont j’ai dû prendre les intérêts. La société humaine bénira tous ceux qui daigneront favoriser une si juste cause.

La ville de Genève, à laquelle Votre Altesse sérénissime a paru s’intéresser, est toujours dans le même état. Elle attend que les médiateurs décident de sa destinée et qu’ils lui donnent des lois, puisqu’elle n’a pas su s’en donner elle-même. Rien n’est plus divisé et plus tranquille que cette petite république. Les deux partis ennuient leurs juges par des mémoires très-longs et très-embrouillés. L’animosité et la haine sont respectueuses et honnêtes. Ce sont des plaideurs acharnés qui plaident poliment : ils ne sont pas assez puissants pour s’égorger.

Il en est à peu près de même dans le duché de Wurtemberg. C’est tout le contraire, madame, dans vos États : tout y est tranquille, parce que vous y êtes adorée.

Je me flatte, madame, que votre santé s’est raffermie dans le printemps, et que vous êtes toujours aussi heureuse que vous méritez de l’être. Toute votre auguste famille contribue à votre félicité ; je fais toujours mille vœux pour elle. Je n’oublie jamais la grande maîtresse des cœurs. Daignez me conserver des bontés

  1. Éditeurs, Bavoux et François.