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ANNÉE 1766.

et le conseil ne savent ni ce qu’ils veulent, ni ce qu’ils font, ni ce qu’ils disent. Les médiateurs ne savent encore où ils en sont ; mais j’ai cru m’apercevoir qu’ils étaient fachés qu’on fût venu me demander mon avis à la campagne. J’ai donc déclaré aux conseil, bourgeois, et natifs, que, n’étant point marguillier de leur paroisse, il ne me convenait pas de me mêler de leurs affaires, et que j’avais assez des miennes. Je leur ai donné un bel exemple de pacification, en m’accommodant pour mes dîmes avec mon curé, et unissant d’un trait de plume, à l’aide de quelques louis d’or, des chicanes de cent années.

Peut-être que M.  le duc de Praslin parle quelquefois avec M. le duc de Choiseul des tracasseries genevoises. En ce cas, je le supplie de vouloir bien me recommander ou me faire recommander à M.  le chevalier de Beauteville. J’attends cette grâce de vous, mes divins anges : car non-seulement plusieurs morceaux de mes petites terres sont enclavés dans le petit territoire de la parvulissime république, mais j’ai tous les jours de petits droits à discuter avec elle, car vous noterez qu’elle n’a guère plus de terrain en France que je n’en ai. Chose étonnante que la liberté ! Il y a vingt villes en France beaucoup plus peuplées que Genève ; qu’il y ait un peu de dissension dans une de ces vingt villes, on envoie des archers ; qu’il y ait une petite discussion à Genève, on y envoie des ambassadeurs.

Vous ferez, mes anges, une très-belle et bonne action, non-seulement de faire recommander mes petits intérêts à M.  de Beauteville, mais surtout de l’engager à garder pour lui ce droit négatif dont nous avons tant parlé. C’est une manière si naturelle et si honnête d’être maître de Genève sans le paraître ; ce tempérament est si convenable ; il sera si utile de disposer de Genève dans les guerres qu’on peut avoir en Italie, qu’il ne faut pas assurément manquer cette précaution ; vous y êtes même intéressé comme Parmesan[1] ; vous êtes puissance d’Italie. Henri IV vous a ôté le marquisat de Saluces, que vous auriez bien par la suite perdu sans lui ; ne manquez pas l’occasion de vous assurer un jour de Genève. La Corse, dont vous vous êtes mêlés, vous était bien moins nécessaire. Il me semble que M.  le duc de Praslin approuvait cette idée ; il la fera goûter sans doute à M.  le duc de Choiseul. C’est une négociation dont il faut que vous ayez tout l’honneur ; la maison de Parme en aura peut-être un jour tout l’avantage.

  1. D’Argental était ministre plénipotentiaire de Parme près la cour de France.